DOSSIER : «Transferts»: de la Nakba à la Riviera
GAZA: Transferts, Nakba et Riviera
«Je pense que l'expulsion organisée d'un peuple tout entier est une forme de nazisme, en soi d'abord, mais aussi parce que cela se termine nécessairement par une extermination. Les organisateurs du "transfert" sont par conséquent bien pires que les exécutants du massacre et méritent pleinement le nom de "nazis juifs"».
Israël Shahak, président de la Ligue israélienne des droits de l'Homme, Revue d'études palestiniennes, 1988/4 N° 29, p.111.
par Marianne Blume
Souvent, celui qui écrit sur la Palestine éprouve le sentiment dérangeant de se répéter, tant il est vrai que les événements d'aujourd'hui sont des répétitions, des approfondissements, des aboutissements d'une politique sioniste qui remonte à avant 1948.
LE TRANSFERT : IDÉE VIEILLE COMME LE SIONISME Depuis la création de l'État d'Israël, la bande de Gaza a constitué un point noir pour les gouvernements successifs, que l'on rêve qu'elle disparaisse dans la mer comme Yitzhak Rabin ou que l'on veuille réduire drastiquement sa population ou la transférer comme Ben Gourion1• Néanmoins, en ces temps-là, si les scrupules n'étouffaient pas les dirigeants, pour autant ils étaient encore préoccupés par l'image d'Israël et pensaient que le nettoyage ethnique pur et simple ne serait pas permis par la communauté internationale. Depuis
le 7 octobre 2023, tous les masques sont tombés et le transfert de plus de deux millions de Gazaouis fait partie du discours officiel. Et les Israéliens le trouvent légitime. Un sondage de mai 2025 montre en effet que 82 % des Israéliens juifs soutiennent le déplacement forcé des Palestiniens de Gaza2• Soit 8 israéliens sur 1 O ! De quoi démystifier le narratif qui fait de Netanyahou le seul coupable.
C'EST UN JOLI NOM, TRANSFERT
Depuis Théodore Hertzl et la fondation du sionisme, les colons juifs, puis les Israéliens utilisent le terme de transfert quand il s'agit de chasser la population autochtone de sa terre. En effet, depuis le début, les sionistes ont pour politique «un maximum de terres avec un minimum d'Arabes ». Ainsi, en juin 1938, Ben-Gourion a déclaré lors d'une réunion de l'Agence juive: «Je soutiens le transfert obligatoire. Je n'y vois rien d’immoral.
”ON A PEU DIT COMBIEN LA VISION DE TRUMP POUR GAZA COÏNCIDAIT AVEC CELLE DE L'ESTABLISHMENT ISRAÉLIEN: PLUS QU'UNE VISION D'HOMME D'AFFAIRES, C'EST UNE VISION COLONIALE.”
Transfert sonne mieux qu'expulsion, bien sûr. Expulsion demande un agent. Transfert se suffit à lui-même. Allant plus loin dans la dissimulation destinée à garder Israël propre, certains tenants du transfert ont émis le souhait qu'il soit «volontaire» ou, du moins, qu'il apparaisse comme tel. C'est plus vendable sur le marché international. Aujourd'hui, en dépit des déclarations ouvertement génocidaires de nombre de responsables politiques, militaires ou même religieux, le discours sur l'expulsion de la population de Gaza conserve les termes de « départ volontaire ». Que l'on masque par des arguments humanitaires: dans une bande de Gaza complètement détruite, ne serait-ce pas mieux pour la population de s'en aller et de s'établir ailleurs? La fable d'un exil volontaire est matérialisée, en 2025, par le ministre de la Défense, Israel Katz, qui crée une nouvelle administration au sein de son ministère, pour faciliter «l'émigration volontaire» des Palestiniens de la bande de Gaza.
Ce discours va de pair avec un discours beaucoup plus agressif qui avait déjà été utilisé lors des précédentes attaques contre Gaza: la menace d'une nouvelle nakba. En effet, la droite israélienne" est passée ces dernières années du déni de la Nakba à son utilisation comme une menace réelle contre les Gazaouis. En novembre 2023, Avi Dichter, membre du cabinet de Sécurité israélien et ministre de !'Agriculture, déclarait: « Nous sommes en train de déployer la nakba de Gaza.» Nakba dit bien expulsion, départ forcé de la population sans espoir de retour. La Nakba est devenue un plan d'action.
La boucle est bouclée: transfert et nakba signent l'annihilation de la population palestinienne de Gaza. Transfert? Non, nettoyage ethnique.
UNE LONGUE HISTOIRE DE DÉPORTATION DES GAZAOUIS
Dès le 13 octobre 2023, un document fuite4: les 2,3 millions d'habitants de Gaza devraient être transférés dans la péninsule égyptienne du Sinaï afin de répondre à leurs besoins humanitaires. Le document suggère que les habitants y vivent dans des tentes avant d'y être installés de manière permanente et d'être empêchés de retourner dans la bande de Gaza. Comble d'arrogance, les pays européens sont appelés à « faire preuve de compassion, à aider les habitants de Gaza à s'orienter vers un avenir plus prospère » et, dans cet ordre d'idées, il ne s'agit pas de transfert car « Qui sommes-nous pour décider qu'ils n'ont pas le droit d'émiçrer?», précise un ancien responsable du Mossad5•
En réalité, ce plan n'est pas nouveau6• Déjà en 1953, puis en 1967 et encore en 1971, il avait été question de transférer la population de Gaza en tout ou en partie en Égypte ou ailleurs7•
Dernièrement, le ministre de la Défense israélien, Israël Katz, a proposé un plan pour établir sur les ruines de la ville de Rafah un camp -qualifié de « ville humanitaire »-, où devrait se concentrer à terme toute la population de Gaza, soit plus de 2 millions d'âmes. Il ne serait pas administré directement par l'armée israélienne mais par des organismes internationaux non identifiés. Le but ultime étant l'émigration. «Volontaire», bien sûr
ET TRUMP VIENT COURONNER LE TOUT
Déclarant que la bande de Gaza est un chantier de démolition, il décide qu'il faut la nettoyer et « construire des logements à un autre endroit où ils (les Palestiniens) pourraient peut-être vivre en paix pour une fois» (sic). Les médias ont insisté sur sa vision de promoteur immobilier, on a mis l'accent sur sa mégalomanie puisqu'il déclare prendre le contrôle de la bande de Gaza. Mais on a peu dit combien sa vision coïncidait avec celle de l'establishment israélien: plus qu'une vision d'homme d'affaires, c'est une vision coloniale. On dispose de l'indigène jugé gênant et son territoire considéré comme un vacuum est modelé par le dominant. La première vidéo de ce que serait la riviera de Gaza parle d'elle-même: des dollars qui volent, des bars, un casino, la plage, des gratte-ciel, Elon Musk, Trump, mais pas de Palestiniens, à part deux enfants échappés des ruines.
Le dernier plan en date, baptisé Gaza Reconstitution, Economie Acceleration and Transformation Trust (GREAT Trust), une élaboration chiffrée de la riviera de Trump, a été concocté par certains des mêmes Israéliens qui ont créé et mis en place la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), soutenue par les États-Unis et Israël, outil du transfert de la population vers le sud. Le prospectus de 38 pages8 intitulé «D'un proxy iranien détruit à un allié abrahamique prospère », envisage une relocalisation dite temporaire de l'ensemble des plus de 2 millions d'habitants de Gaza, soit par ce qu'il appelle des départs «volontaires» vers un autre pays, soit dans des zones restreintes et sécurisées à l'intérieur de l'enclave pendant la reconstruction. Les Palestiniens n'y sont que des sujets et les seules images d'Arabes sont celles de gens du Golfe ou d'enfants à l'appartenance indéfinissable. Cette élimination des Gazaouis est orchestrée dans le détail sous la forme d'une bonne affaire pour les investisseurs.
PENDANT CE TEMPS-LÀ, SUR LE TERRAIN
On pourrait montrer les cartes successives des déplacements imposés par l'armée israélienne à la population de Gaza. Mais la décision de Netanyahou d'occuper la ville de Gaza change une fois de plus la configuration. Et là, les cartes sont mortes. Car, en fait, il n'y a pas un endroit de Gaza qui ne soit survolé par les drones de reconnaissance ou tueurs, pas un endroit qui ne soit bombardé, y compris quand on se trouve dans une zone dite « sûre», pas un endroit où les écoles, les hôpitaux et cliniques, les marchés, les lieux de réunion, les espaces agricoles soient épargnés. Alors, les cartes, elles ne disent que ce que veut dire Israël : dégagez, partez, faites de l'espace et concentrez-vous où nous l'avons décidé, jusqu'à nouvel ordre.
Les Gazaouis sont assassinés. La famine sévit et tue. Les Gazaouis n'ont plus d'endroit où se réfugier. Chut! Le génocide suit son cours.
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1 / Marianne Blume, « Gaza, vue d'Israël», Palestine n°?6, 2e trim. 2018.
2/ Hay Hazkani et Tamir Sorek, "Yes to Transfer: 82% of Jewish /srae/is Back Expelling Gazans", Haaretz, 28 Mai 2025.
3/ Meron Rapoport et Ameer Fakhoury, "How threats of a second Nakba went mainstream", +972mag, 23 juin 2022.
4/ Marianne Blume, «Gaza, vue d'Israël», Palestine n°?6, 2' trim. 2018.
5/ "Ram Ben Barak dit que ses propos sur /es réfugiés gazaouis ont été mal compris", fr.timesofisrael.com, 15 novembre 2025
6/ Oter Aderet, "We Give Them 48 Hours to Leave': /srae/'s Plans to Transfer Gazans Go Back 60 Years", Haaretz, 5 décembre 2024.
7 / « Sionisme : la politique de transfert des Palestiniens, des origines à nos jours», Beyrouth, Institut des études palestiniennes, 2006. 8/ Karen DeYoung et Cale Brown, "Gaza postwar plan envisions 'voluntary' relocation of entire population", The Washington Post, 2 septembre 2025.
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