09 novembre 2023

« Anti-israélien » ?

BILLET DE BLOG 7 NOVEMBRE 2023

https://blogs.mediapart.fr/thomasvescovi 


Quiconque essaie, depuis un mois, de replacer les crimes du Hamas commis en Israël le 7 octobre dans la temporalité de la guerre coloniale entre Israël et les Palestiniens se voit accusé d’être « anti-israélien ». Je crois précisément que c’est le contraire.

Thomas Vescovi

C ce soir - France 5 - 13 septembre 2023
 Historien, chercheur indépendant, spécialiste d'Israël et des Territoires palestiniens occupés, et enseignant d'histoire-géographie dans le secondaire.

L’image est saisissante : des civils palestiniens, drapeaux blancs levés, franchissent les barrages de l'armée israélienne dans la bande de Gaza, emportant avec eux quelques affaires. Elle rappelle ces photographies prises en 1948 lors de l'exil forcé de près de 800 000 Palestiniens. L'histoire s'écrit sous nos yeux dans un drame humanitaire sans précédent, en toute impunité.

À l’heure où ces lignes sont écrites, le bilan humain des bombardements israéliens sur la bande de Gaza avoisine les 10 000 victimes, dont une large majorité de femmes et d’enfants, mais aussi 35 journalistes. Au moins 2 000 personnes sont encore portées disparues sous les décombres. Deux cent écoles ont été touchées et 76 centres de soins. Le nombre de déplacés s’élève à 1,4 million, avec une aide humanitaire qui arrive au compte-goutte. Les médecins rapportent être contraints d'opérer sans anesthésie : césarienne, amputation... Bientôt, d'après les ONG, certains Palestiniens de Gaza pourraient mourir, non des attaques israéliennes, mais de faim et de soif.

Côté israélien, 1300 personnes ont été tuées le 7 octobre, dont 348 membres des forces de sécurité, soit une large majorité de civils, essentiellement Israéliens, mais aussi des touristes et des travailleurs étrangers. Pour l’heure, il est établi que 241 personnes sont détenues en otage dans la bande de Gaza. « Renversement de table », « changer la donne », « répondre à l’oppression » : tous les motifs utilisés pour tenter d’expliquer l’opération du Hamas se confrontent aux images et aux récits qui illustrent les actes innommables perpétrés pendant cette journée. Dans les heures qui ont suivi, les appels à se tenir aux côtés d’Israël se sont multipliés. Pourtant, quiconque tendait l’oreille pouvait entrevoir le second drame qui allait se produire.

« Animaux humains », « barbares contre civilisés », « enfants des ténèbres », « il n’y a pas de civils innocents », « nous cherchons à causer des dégâts, pas la précision »… Ces termes qui s'apparentent à des appels génocidaires, employés par des dirigeants israéliens, démontrent à quel point l’ensemble des Palestiniens sont tenus responsables des crimes.

Caution aux crimes contre l’humanité

Après plus de huit années à étudier les gauches israéliennes, à rencontrer une part importante du milieu militant anticolonial israélien, je partage avec ce courant une conviction : le sort des Israéliens et des Palestiniens doit être pensé ensemble, d’égal à égal, et non l’un au détriment de l’autre.

Alon-Lee Green, co-directeur du mouvement arabo-juif israélien Standing Together, affirmait il y a plusieurs mois : « Savez-vous combien de fois ils ont déjà « éliminé » les chefs du Jihad islamique ou du Hamas ? Combien de fois ont-ils piétiné, bombardé, écrasé et tué à Gaza ? Savez-vous combien de personnes, femmes et enfants, ont été tuées par nos bombardements au cours de la dernière décennie ? Et pourtant, après toutes ces rondes interminables, les Palestiniens continuent de vouloir vivre en liberté et sans occupation ni blocus. Et ça ne changera pas. »

Et cela n’est toujours pas prêt de changer, puisqu’à imaginer que le Hamas soit éradiqué : qui peut croire que les survivants de la catastrophe humanitaire en cours dans la bande de Gaza ne montreront plus aucun sentiment d’hostilité à l’égard d’Israël ? Qui peut croire que certains Palestiniens qui assistent, impuissants, au massacre de leur peuple, ne seront pas séduits, demain, par des discours encore plus radicaux et extrémistes que ceux du Hamas ?

Cessons de tergiverser. Affirmer qu’il n’y a pas d’autres solutions face au Hamas que ces bombardements meurtriers, que la seule disparition du Hamas est un préalable à la paix, sont autant de mensonges éhontés qui ne cherchent qu’à offrir une caution aux crimes contre l’humanité dans la bande de Gaza.

L’État d’Israël n’a pas attendu le Hamas, créé en 1987, pour coloniser, occuper ou expulser, et refuser d’appliquer les résolutions onusiennes. Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU, a ainsi rappelé que si « rien ne peut justifier de tuer, blesser et enlever délibérément des civils, ni les tirs de roquettes sur des cibles civiles », on ne pouvait pas faire comme si cette attaque s’était produite « en dehors de tout contexte ».

Droit d’Israël à se défendre ?

Le droit international reconnait à l’État d’Israël le droit et le devoir de protéger ses citoyens, et de répondre à une attaque subie contre ses populations civiles. Mais aucunement au dépend d’autres civils. Les bombardements massifs sur la bande de Gaza, déjà soumis à un blocus depuis dix-sept ans, l’occupation, la colonisation et le régime d’apartheid, contreviennent complètement au « droit d’Israël à se défendre ». C’est même tout l’inverse : ces politiques mettent en péril la vie de civils, dont les Israéliens eux-mêmes, comme le 7 octobre l’a atrocement illustré.

Voilà pourquoi il fallait, dès le départ, être clair : tout appel à se tenir aux côtés d'Israël et des Israéliens, sans considération aucune pour le sort des Palestiniens, c'est tolérer et préparer les prochains crimes. La protection des civils, le droit à la sécurité et à la justice, ne peuvent être à géométrie variable.

Si j’ai été sidéré de voir le refus chez certains d’user d’un minimum d’humanisme pour entendre la souffrance des Israéliens le 7 octobre, je prends acte de celles et ceux qui ne souhaitent parler QUE de la souffrance des Israéliens, s’aveuglant sur toute la déshumanisation qui permet l’accomplissement d’acte les plus contraires, d’un côté aux principes du droit humanitaire, de l'autre à la légitime résistance des peuples.

Les marchands de sang à l’action

Le poète israélien Yitzhak Laor qualifiait de « marchands de sang » celles et ceux qui, à peine un attentat se produit, s’empressent de l’instrumentaliser à des fins politiques ou guerriers. C’est l’expression qui m’est venue à l’esprit en lisant ces appels à soutenir Israël, « démocratie » à laquelle tant d’Occidentaux devraient s’identifier car prise pour cible par des « djihadistes », ou un « terrorisme islamiste » semblable à celui qui a frappé la France en 2015. Certains ont même été plus loin dans la manipulation intellectuelle, dressant un parallèle avec l’assassinat à Arras de l’enseignant Dominique Bernard, commis le 13 octobre par un terroriste islamiste.

En quelques heures, c’est comme si tous les rapports accusant Israël d’apartheid ne tenaient plus. Comme si la colonialité qui structure les relations entre Israéliens et Palestiniens avait disparu. Comme si les rapports de force complètement asymétriques, d’un coup, n’avaient plus lieu d’être mentionnés.

Or, c’est précisément sur ce terreau de près de 75 ans d’injustice, de non-respect du droit international, d’expulsion, de spoliation, de destruction, d’humiliation quotidienne, de meurtres impunis, de colère, de rage et de haine, que le Hamas a pu germer. Au point de devenir un membre à part entière du mouvement national palestinien, de remporter des élections, puis d’imposer son autoritarisme dans la bande de Gaza. Du moins dans la limite de la souveraineté que les autorités israéliennes acceptent de laisser.

Des droits partagés

Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir multiplié les alertes. Dans tous les débats publics et les médias, nous étions quelques-uns à le marteler : « la situation sur le terrain devient intenable, des groupes armés se forment dans un désespoir et une radicalité jamais vus par le passé ».

À la veille du 7 octobre, 234 Palestiniens avaient été tués depuis le 1er janvier 2023 par l’armée israélienne ou des colons, dont 118 civils. Les ONG dénombraient 320 attaques de colons sur des civils palestiniens. Le gouvernement israélien d’extrême droite soutenait la construction d’un nombre sans précédent de nouvelles colonies sur des terres palestiniennes, et les provocations contre l’esplanade des mosquées à Jérusalem se multipliaient. À Gaza, à la veille du 7 octobre, la situation humanitaire était déjà inquiétante puisqu’à cause du blocus israélien : 80 % des quelques 2,3 millions d’habitants vivaient de l’aide humanitaire, 60 % souffraient d’insécurité alimentaire. Tout cela dans le plus grand silence de la communauté internationale.

Un silence qui se poursuit. Alors que l’attention internationale est portée toute entière sur la bande de Gaza, les exactions en Cisjordanie de la part des colons, appuyés par l’armée israélienne, se multiplient. Dans les collines du sud d’Hébron ou dans la vallée du Jourdain, des dizaines de familles palestiniennes ont été contraintes de fuir leurs maisons face à la violence des colons. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses images circulent de Palestiniens humiliés et violentés. Certains soldats en ont même fait un jeu sur TikTok. En un mois, au moins un millier de Palestiniens ont été arrêtés, près de 130 ont été tués.

Tous ces évènements, de Gaza à la Cisjordanie, forment un tout, celui du colonialisme qui piège Israéliens et Palestiniens dans des positions qui menacent leur sécurité. Les premiers sont prêts à tout pour maintenir leurs privilèges en sécurité, les seconds n’ont plus rien à perdre pour accéder à une vie digne et libre.

Dès lors, celles et ceux qui se présentent comme des « amis d’Israël », et qui accusent toutes les voix critiques d’Israël d’antisémitisme, balaient d’un revers de main les rapports d’ONG dénonçant la politique israélienne, ou invitent à regarder ailleurs lorsqu’il est question de poser des sanctions à Israël, agissent précisément contre la sécurité des Israéliens, puisqu’ils tolèrent de garantir à leurs dirigeants une totale impunité. Ce sont certains d’entre eux par exemple qui, lorsqu’en mars dernier nous publiions une tribune dans Le Monde pour rappeler combien le concept de démocratie en Israël variait en fonction de son appartenance ethnique et de son lieu de vie, demandaient un droit de réponse pour affirmer que nous mélangions tout.

Voilà précisément pourquoi l’accusation d’« anti-israélien » à mon encontre, comme envers toutes celles et ceux qui plaident en faveur de la justice pour les Palestiniens, ne tient pas : Israéliens et Palestiniens doivent être reconnus dans leur humanité, d’égal à égal, partageant le même droit à la paix et à la sécurité. Jamais l'un au dépend de l'autre. L’urgence immédiate est d’appeler et soutenir toutes les initiatives pour un cessez-le feu ET le retour des otages civils israéliens auprès de leurs proches. Soyons clairs, toutes celles et ceux qui tergiversent sur ces principes simples continuent de penser que certaines vies valent moins que d’autres, et qu'entre la mer Méditerranée et le fleuve Jourdain, les droits de certains sont plus légitimes que d'autres.

https://blogs.mediapart.fr/thomasvescovi/blog/071123/anti-israelien

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Voir aussi

•  Je vous en veux

Extraits

 
Je vous en veux de ne pas voir la haine qui est en train de monter, de vous taire face à ce qui se passe, d’être indifférents.

Directeurs d’universités ou de lycées, professeurs, je vous en veux.
Je vous en veux de ne pas aborder l’antisémitisme, de ne pas aborder l’islamophobie, de fermer les yeux sur le racisme, en croyant que l’ignorer c’est l’empêcher d’exister.

Étudiants, je vous en veux.
Je vous en veux de me haïr pour une nationalité et une religion que je n’ai pas choisies. De vous permettre de me détruire parce qu’une bonne cause vous sert de prétexte ; parce que vous avez l’impression qu’en me brisant, vous brisez un gouvernement. La haine des Juifs et des civils israéliens n’est pas du militantisme. Faire preuve d’humanité n’est pas contraire à vos convictions. Vous condamnez le racisme, mais vous me discriminez. Vous militez pour les minorités, mais vous considérez que la mienne est trop privilégiée.

Je vous en veux d’être silencieux, de ne plus me regarder, de tourner la tête à mon passage, quand hier encore, vous m’invitiez chez vous.

Lisa Hazan,
Une étudiante juive parmi tant d’autres.

Sur le Blog de Mediapart - 6 novembre 2023
https://blogs.mediapart.fr/lisahazan/blog/061123/je-vous-en-veux
 


• Israël-Palestine : « De quelle démocratie parlons-nous ? » 

Tribune, Collectif

Un collectif d’universitaires et de chercheurs, parmi lesquels Judith Butler, Shlomo Sand et Thomas Vescovi, ainsi que le médecin Rony Brauman, rappellent, dans une tribune au « Monde », que colons, militaires et politiques israéliens bénéficient d’une impunité totale, et que les Palestiniens vivent sans protection internationale

Publié le 28 mars 2023, Le Monde

https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/28/israel-palestine-de-quelle-democratie-parlons-nous_6167310_3232.html

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• Israël : « Il est urgent pour les Etats européens de faire respecter les droits humains et d’agir contre les démolitions illégales en Cisjordanie »

 Tribune, Collectif

Dans les territoires palestiniens, le financement européen de l’aide humanitaire doit s’accompagner de la fin de l’impunité du gouvernement israélien, réclament dans une tribune au « Monde », des responsables d’ONG, parmi lesquels Médecins du monde et la Ligue des droits de l’homme.

Publié le 22 mars 2023 , Le Monde

Dimanche 26 février, la localité palestinienne d’Huwara était attaquée par des dizaines de colons israéliens, après le meurtre de deux colons. La récente augmentation de la violence liée à l’occupation et à la colonisation, qui fait suite à la composition d’un gouvernement d’extrême droite en Israël avec pour objectif public l’annexion de la Cisjordanie, n’est pas une surprise, mais le résultat de décennies d’inaction de la communauté internationale et de la montée de l’ultraconservatisme dans le monde.

violence institutionnalisée

En tant qu’organisations humanitaires et de défense des droits de l’homme, nous craignons une augmentation dramatique des besoins humanitaires en 2023. L’accord de coalition du gouvernement de Benyamin Nétanyahou montre que « le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur toutes les régions de la terre d’Israël. Le gouvernement encouragera et développera la colonisation dans toutes les parties de la “terre d’Israël” en Galilée, dans le Néguev, dans le Golan, en Judée et en Samarie ». Le Golan est toujours considéré, par la communauté internationale, comme une région syrienne occupée et les « Judée et Samarie » font référence à la Cisjordanie.

https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/22/israel-il-est-urgent-pour-les-etats-europeens-de-faire-respecter-les-droits-humains-et-d-agir-contre-les-demolitions-illegales-en-cisjordanie_6166551_3232.html


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En Israël, la contestation de la réforme de la justice rejoint la critique des violences commises par des colons à Huwara (village palestinien en Cisjordanie)

Alors qu’une nouvelle manifestation avait lieu contre les projets de loi du gouvernement, le ministre chargé des colonies au ministère de la défense, Bezalel Smotrich, a affirmé qu’« Huwara doit être rasé ».
Ce discours et cette journée marquent un tournant. Pour la première fois, le lien est fait entre la réforme de la justice et la violence exercée par l’armée et les colons dans les territoires.

https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/02/en-israel-la-contestation-de-la-reforme-de-la-justice-rejoint-la-critique-des-violences-commises-par-des-colons-a-huwara_6163882_3210.html

05 novembre 2023

Les implantations israéliennes en Cisjordanie

 Voici les liens vers les trois articles sur "Les implantations israéliennes en Cisjordanie, histoire d'une colonisation :

La question des colonies israéliennes en Territoire palestinien est un sujet d’actualité. Pendant l’été 2013, le gouvernement Netanyahou a annoncé la création d’un millier de nouveaux logements à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. 
Cependant, au-delà de l’actualité brûlante et des décisions conjoncturelles sur les colonies, il convient de se placer dans une problématique de long terme et de comprendre les enjeux structurels. Le premier volet de ce dossier sur les colonies portera sur les préalables nécessaires pour comprendre la colonisation, c’est-à-dire la présence juive en Palestine avant les premiers programmes d’implantation.
 

 - 1 : Les implantations israéliennes en Cisjordanie (1) : histoire de la présence juive en Palestine avant 1967
 

"Dans la Genèse (XII), Abraham, dans sa marche vers le pays de Canaan (territoire compris entre la Méditerranée et le Jourdain) s’arrête à Sichem (Naplouse). Yahvé lui concède les territoires alentour pour y implanter son peuple. A sa mort, Abraham est enseveli en compagnie de sa femme Sarah à Hébron. Sur la carte 1, on peut voir les grands lieux bibliques situés en Cisjordanie. Le premier d’entre eux, Jérusalem, est aux portes de la « Judée-Samarie », terme employé par de nombreux Israéliens pour désigner la Cisjordanie. (...)"
 

- 2 : Les implantations israéliennes en Cisjordanie (2) : histoire d’une colonisation depuis 1967

 Pendant l’été 2013, le gouvernement Netanyahou a annoncé la création d’un millier de nouveaux logements à Jérusalem Est et en Cisjordanie. 
Cependant, au-delà des décisions conjoncturelles sur les colonies, il convient de se placer dans une problématique de long terme et de comprendre les enjeux structurels. Après avoir étudié la présence juive en Palestine jusqu’en 1967 dans une première partie, nous nous pencherons, dans ce second volet, sur la période qui suit la Guerre des Six-Jours, marquée par de grands programmes de colonisation des territoires occupés par Israël, et notamment la Cisjordanie.
 

- 3 : Les colonies israéliennes en Cisjordanie (3) : approche multiscalaire des stratégies territoriales 
 

A noter que cet article date de 2020. Il faudrait donc y ajouter tout ce qui s'est passé depuis lors en Cisjordanie.


Après avoir adopté une approche historique pour comprendre les fondements de la présence israélienne en Cisjordanie jusqu’au début des années 2000, nous nous arrêterons, dans ce troisième volet, sur la géographie actuelle des colonies. 
L’utilisation de différentes échelles est essentielle pour analyser les stratégies territoriales mises en place par Israël et ses colons et pour comprendre la situation des Palestiniens dans les Territoires occupés (parties I, II et III). 
La colonisation est également analysée du point de vue israélien (partie IV).

Je reprends plus loin  cette partie IV.  


 

 Le rôle joué par les colonies  

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la stratégie territoriale d’Israël en Cisjordanie

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un territoire palestinien fragmenté et contrôlé

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IV – La colonisation vue du point de vue israélien

Cet article s’est placé en grande partie du point de vue palestinien. Les études réalisées sur ce thème portent en effet majoritairement sur les conséquences de l’occupation israélienne sur la vie des populations arabes. Toutefois, voici le point de vue israélien.

Il faut d’abord préciser que nous avons seulement apporté ici une interprétation du résultat de la colonisation. En effet, il ne faudrait pas voir l’inscription spatiale des colonies comme le fruit d’une logique implacable, d’un plan millimétré, préparé de longue date par Israël. L’État israélien a certes joué un rôle dans la localisation de certaines d’entre-elles, mais de nombreuses autres sont le fruit d’initiatives individuelles ou guidées par des groupes sionistes, comme le Goush Emounim (voir le second volet du dossier). L’État facilite aussi l’implantation des colons en établissant des avantages fiscaux pour les nouveaux arrivants ou en décidant des plans de construction de logements dans les colonies. Mais des organisations, étrangères ou israéliennes, comme Israel Land Fund, ont été créées dans le but de récolter des fonds pour acquérir des terres pour la colonisation.

La diversité des colons et de leurs motivations

Stéphanie Valdmann (2001) apporte une contribution originale en étudiant la diversité des colonies israéliennes et les motivations des colons à s’installer en Cisjordanie. Malgré leur apparente ressemblance (localisation, morphologie, organisation spatiale) que nous traiterons en fin d’article, Stéphanie Valdmann insiste sur les différences des colons. Elle note que « Dans les représentations internationales, l’image du colon est souvent schématisée. Dans le contexte de violence de la seconde Intifada, ils sont perçus comme des fanatiques irresponsables ». Il faut distinguer les Juifs pratiquants, traditionalistes, orthodoxes, et ultra-orthodoxes, qui ont des motivations différentes à venir s’installer dans les colonies, et par conséquent, qui s’installent dans des colonies différentes. Par exemple, à Shilo, en Samarie, l’auteur explique que les colons font le choix de s’installer ici, et non à Tel-Aviv, car leur objectif est de « créer ensemble un meilleur futur, en intégrant chaque individu ». Elle ajoute toutefois que le faible coût des logements est un élément incitatif important. Au nord de la Judée, Beitar Ilit est une grande colonie ultra-orthodoxe, dont la devise est « Une ville de la Torah dans les montagnes de Judée ». Les colons qui la rejoignent cherchent un lieu spirituel où ils pourront pratiquer strictement leur religion au quotidien. A Ariel, au contraire, les populations orthodoxes et laïques se côtoient. Dans la vallée du Jourdain, les colonies répondent plus à des motivations économiques (exploitations agricoles bénéficiant de l’eau du Jourdain).

L’insécurité des colons israéliens

En prenant l’exemple de Shilo, Stéphanie Valdmann montre que les colons se sentent baignés dans un environnement hostile, surtout depuis la deuxième Intifada. Ils peuvent être escortés par l’armée dans leurs déplacements, mais sont obligés de suivre des consignes de sécurité très strictes. Toutefois, les colons de Shilo arguent que l’insécurité est la même en Cisjordanie qu’en Israël, puisque les bombes et les attentats peuvent frapper aussi bien leur colonie que l’État d’Israël. Par ailleurs, selon les colons de Shilo interrogés, les Palestiniens souhaitent voir les Juifs partir de Cisjordanie, mais aussi de l’ensemble du territoire Israélien. Par conséquent, si les Palestiniens obtiennent le départ des Israéliens de la Cisjordanie, ils s’attaqueront ensuite au reste du pays. Alors, pourquoi quitter la Cisjordanie si c’est pour être chassé d’Israël par la suite ?

Les colonies, une question qui fait débat en Israël

La question des colonies fait débat en Israël. Les gouvernements au pouvoir continuent de favoriser la colonisation sous la pression des partis et des lobbys sionistes religieux. Mais il ne faudrait pas essentialiser les Israéliens en les considérant comme tous favorables à la colonisation. Selon L’Express(22/01/2013), à l’été 2011, des Israéliens sont descendus dans les rues pour protester contre le fardeau financier que représente les colonies, fardeau accusé de renchérir le coût de la vie en Israël. En effet, les colonies coûtent cher, de par les dépenses de sécurité engagées, et de par les aides financières fournies aux colons. Hagit Ofran, directrice de l’ONG « La Paix maintenant » créée en 1978, note qu’« Israël a déclaré à son partenaire américain transférer environ 250 millions de dollars (190 millions d’euros) par an aux colonies. Mais ce chiffre paraît sous-estimé ». Par ailleurs, les critiques ne se font pas seulement sur le coût économique, mais sur la question des Droits de l’Homme. Des associations israéliennes ont été créées pour la paix entre les deux peuples. L’ONG « La Paix maintenant », se bat pour la recherche d’une solution pacifique au conflit et pour la coexistence de deux Etats. L’association « B’Tselem » (Centre d’information pour les Droits de l’Homme dans les territoires occupés), a été créée en 1989 par des chercheurs, des journalistes et des parlementaires de la Knesset, pour fournir une documentation sur la violation des Droits de l’Homme dans les territoires occupés.

 

Bilan de la guerre entre le Hamas et l’Etat d’Israël, six mois après (2/2)

Par Emile Bouvier
Publié le 18/04/2024 • modifié le 18/04/2024  • Durée de lecture : 7 minutes Voir l'article original, dans Les clés de...