08 juillet 2016

LES DÉMOLITIONS DE MAISONS EN CISJORDANIE EN HAUSSE

Le transfert silencieux s'accélère...

Palestine  -DOSSIER DÉMOLITIONS - pages 4 et 5

par Sophie Feyder et Nathalie Jeanne d'athée


Selon l'ONG israélienne Israeli Committee against House Demolition (ICAHD),  le gouvernement israélien a déjà fait démolir 48 488 structures palestiniennes depuis 1967, date de l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza.
Un nombre incalculable de gens se sont ainsi retrouvés sans abris du jour au lendemain.
Cette politique de démolition est un des piliers d'une stratégie plus large de judaïsation de la Cisjordanie, une manière silencieuse mais efficace de procéder à un transfert de population.

Si le mot "nettoyage ethnique" froisse encore beaucoup d'oreilles, les juristes israéliens concèdent pour la plupart que ce recours aux démolitions entre clairement en contravention avec l'article 53 de la quatrième Convention de Genève, selon lequel "il est interdit à la Puissance occupante de détruire des biens mobiliers ou immobiliers, (...) sauf dans les cas où ces destructions seraient rendues absolument nécessaires par les opérations militaires". Or selon ICAHD, le pourcentage des démolitions qui peut être imputé à des raisons de sécurité n'atteint pas le 1 %. On ne voit pas trop en effet quelle nécessité militaire contraindrait Israël à détruire des plaines de jeux, des réservoirs d'eau, des panneaux solaires, des latrines, des abris pour le bétail ou encore des écoles.

Depuis le début de l'occupation, les démolitions ont plutôt servi à chasser les Palestiniens hors de leurs terres et à libérer de l'espace pour la construction ininterrompue de nouvelles colonies israéliennes en territoire occupé. Sur le long terme, l'objectif des démolitions est de parvenir à ce qu'un maximum de la zone C (la zone C représente 62% de la Cisjordanie occupée) ne puisse revenir aux Palestiniens dans le cadre d'un accord final.

UN RYTHME EFFRÉNÉ DE DÉMOLITIONS EN 2016

Depuis plusieurs générations, le risque de voir démolir sa maison est suspendu telle une épée de Damoclès sur la tête de tout Palestinien résidant dans les territoires occupés. Si le rythme des démolitions fluctue en fonction de la conjoncture, en 2016, il s'envole de façon alarmante pour atteindre un niveau sans précédent. Entre 2012 et 2015, la moyenne mensuelle était de 50 maisons démolies en Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est. Depuis janvier 2016, on en est à 607 démolitions, dépassant déjà le nombre des démolitions pour toute l'année 2015, à une allure trois fois supérieure à la moyenne initiale. Pour la seule journée du 6 avril, l'armée israélienne a démoli 54 structures dans 9 communautés villageoises en Cisjordanie, affectant directement 124 personnes dont 60 enfants.
Les motifs de cette relance effrénée ne sont pas clairs, même si cette soudaine accélération coïncide manifestement avec l'adoption des directives européennes sur l'étiquetage des produits en provenance des colonies israéliennes. Les justifications que les autorités israéliennes avancent en général ne changent pas, quant à elles. Elles se résument à trois : l'absence de permis de construire (démolition administrative, soit 38% des cas), la localisation de la maison jugée inappropriée ou problématique par le gouvernement (démolition dite militaire, soit 61% des cas) et la punition collective (1% des cas).

UNE ADMINISTRATION KAFKAïENNE
AU SERVICE D'UN "TRANSFERT SILENCIEUX"

Pour rappel, la zone C représente 62% de la Cisjordanie occupée. Selon les accords d'Oslo, toute construction en zone C nécessite l'approbation de l'autorité israélienne. Or seulement 1,5% des demandes palestiniennes de permis de construire en zone C reçoivent une réponse positive. Entre 2009 et 2012 par exemple, seulement 37 des 1 640 demandes palestiniennes ont été approuvées. Le gouvernement préfère réattribuer la terre aux colons. Selon un rapport datant de 2015 du Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA), un département des Nations unies, le gouvernement attribue 13 fois plus de terre à un colon qu'à un Palestinien. Compte tenu de la situation, les Palestiniens se voient contraints, tout comme les bailleurs de fonds internationaux par ailleurs, à construire sans autorisation, et à vivre avec le risque permanent de voir leur maison, leur citerne d'eau ou leurs latrines démolies par les bulldozers. Phénomène inquiétant, certains Palestiniens finissent par démolir eux-même préventivement leur propre maison, afin d'éviter d'avoir à payer la note de la démolition qu'Israël prend soin d'envoyer à chaque propriétaire de maison ainsi détruite. La facture peut être salée: entre 1300 et 15 000 € par démolition.


Quand ce n'est pas une question de permis, c'est une histoire de mauvaise localisation, par exemple le fait d'être situé trop près du Mur ou sur le tracé d'une future route de contournement devant desservir une colonie. Israël peut également décider qu'un village se trouve dans une zone de tir, censée être réservé exclusivement il l'entrainement militaire. Selon OCHA, 18% de la Cisjordanie tomberaient dans cette catégorie. Or plus de 80% de ces zones de tir ne sont même pas utilisées à cette fin. En 2014, le Colonel Einav Shalev, un officier de l'lOF, a admis lors d'une séance d'un comité public que la désignation de terrains palestiniens comme "zone de tir" n'était qu'une ruse pour en expulser les Palestiniens.

Enfin, Israël démolit des maisons de la famille de Palestiniens ayant commis des attaques ou des tentatives d'attaquas contre des Israéliens. La famille dispose alors en principe de 10 minutes pour dégager de la maison, avant que l'armée ne la fasse exploser à l'aide d'une simple grenade. En 2009, le gouvernement fit changer la loi pour permettre à l'armée d'utiliser des mesures de représailles envers la famille d'un inculpé. Israël préfère utiliser le terme "dissuasif" en lieu et place de "punition collective". L'argument est qu'un terroriste hésitera avant d'agir s'il sait que son acte aura un impact négatif sur sa famille. Pourtant il n'y aucune preuve de l'efficacité de telles mesures "dissuasives". Au contraire, toutes les enquêtes montrent que les attaques violentes n'ont fait qu'augmenter depuis que cette mesure a été réadaptée.

DES RÉACTIONS BELGES
ET EUROPÉENNES MITIGÉES


La Belgique fait partie des Etats membres déterminés à demander des compensations à Israël. En visite en Palestine et en Israël du 7 au 10 mai dernier, Didier Reynders a abordé la question des démolitions, notamment le cas de la plaine de jeux de Zaatara, dans le gouvernorat de Naplouse, détruite par l'armée le 12 avril dernier. Cette plaine de jeux avait été financée par la Coopération technique belge (CTB) à hauteur de 50 000 € et inaugurée il y a à peine un an. Les ministres Reynders et De Croo ont rapidement réagi en dénonçant cette nouvelle destruction. La plaine de jeux de Zaatara est en effet le troisième projet belge détruit par l'armée israélienne depuis le début de 2016. Pour l'instant, leurs demandes sont restées lettre morte, tout comme au lendemain de la destruction du réseau de transport électrique de Khirbet AI-Tawil en 2014, également financé par la Coopération belge, pour un montant de 55 000 €.

Sans consensus européen, il reste à voir ce que les ministres Reynders et De Croo oseront encore faire. L'UE est parmi les principaux bailleurs de fond qui financent ces structures en Cisjordanie. Mais plutôt que de prendre des mesures concrètes, l'UE a préféré entreprendre un "dialogue structuré" avec Israël afin que ce dernier mette fin aux démolitions en zone C endéans les six mois. Après quelques mois, ce dialogue a été interrompu par Israël à la suite de la publication par l'UE des lignes directrices sur l'étiquetage des produits des colonies. Les relations diplomatiques ont repris entre l'UE et Israël en février 2016, mais le dialogue sur les démolitions n'aboutit manifestement pas. En dépit de cet échec, l'UE a pris la décision de prolonger la période de dialogue de six mois - durant lesquels on s'attend à ce que les démolitions progressent au même train. On ne voit pas trop comment la position israélienne pourrait évoluer si l'UE n'affermit pas en retour ses propres positions et ne menace pas Israël de réelles sanctions. La tenue du conseil d'association entre l'UE et Israël en juin offrirait une opportunité à l'UE et à ses Etats membres de prendre enfin une position plus ferme sur le dossier des démolitions, que ce soit en en différant la date, voire, on peut rêver, en suspendant l'accord d'association avec Israël jusqu'à nouvel ordre ?

Source: Richard Hardigan, Ethnie Cleansing in Palestine:
Home Demolitions on the Rise, Counterpunch, avril 22. ICAHD : http://icahd.org

Bulletin de l'association belgo-palestinienne / Wallonie-Bruxelles ASBL - ABP - N° 68, Avril - mai - juin  2016
Dossier démolitions, version 2016

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