24 janvier 2024

Alors que tous les regards sont tournés vers Gaza, que devient la Cisjordanie (2/2) ?

Par Emile Bouvier
Les Clés du Moyen-Orient
Publié le 12/01/2024 

Lire la partie 1

Extraits

 III. La colonisation, au cœur du conflit israélo-palestinien (voir l'article complet)

IV. La Cisjordanie à l’heure de la guerre entre Israël et le Hamas

(...) Conduites avec la bienveillante neutralité des forces israéliennes [13], ces actions menées par les colons revêtent tant un caractère de représailles à l’égard de l’attaque du Hamas que de prédation territoriale ; elles consistent en l’incendie de voitures, de maisons et d’attaques armées contre les Palestiniens [14]. Selon le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), entre le 7 octobre et le 30 décembre, plus de 1208 Palestiniens de Cisjordanie, dont 586 enfants, ont été forcés de fuir leur domicile en raison des violences, soit 78% des 1539 personnes ayant été déplacés au cours de l’intégralité de l’année 2023 au sein du territoire cisjordanien [15]. Selon le ministère de la Santé de l’Autorité palestinienne, 317 Palestiniens auraient été tués par les soldats et colons israéliens en Cisjordanie entre le 7 octobre 2023 et le 1er janvier 2024 [16]. 

L’ampleur des actions commises par les colons contre les Palestiniens en Cisjordanie est telle que les Etats-Unis, l’Union européenne ou encore la France [17], pourtant alliés incontournables d’Israël, ont annoncé au cours du mois de décembre 2023 vouloir sanctionner les responsables de ces violences, le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, ayant par exemple affirmé être « alarmé par les violences commises par les colons extrémistes en Cisjordanie » et estimé que « le temps était venu de joindre aux mots de l’action » [18].  Washington, de son côté, a annoncé le 5 décembre une interdiction de visa à l’encontre de plusieurs colons israéliens [19]. 

L’accroissement significatif des actions commises par les soldats et colons israéliens, couplé à la situation humanitaire des civils dans la bande de Gaza et la dégradation substantielle des conditions de vie des Palestiniens en Cisjordanie - depuis le début du conflit, un tiers des emplois y aurait été détruit [20] - conduisent un nombre croissant d’habitants à joindre les groupes armés naissant de façon plus ou moins spontanée à travers les territoires palestiniens [21]. Les attaques menées par ces militants palestiniens s’avèrent ainsi de plus en plus nombreuses [22], tandis que les raids israéliens en territoire cisjordanien rencontrent une résistance croissante [23]. 

L’armée israélienne a, en conséquence, déployé des moyens supplémentaires. Le 18 novembre 2023 par exemple, cinq Palestiniens armés ont été tués par une frappe aérienne à Naplouse [24], témoignant de l’usage de plus en plus généralisé [25], par Tel-Aviv, de moyens militaires traditionnellement alloués à la guerre de haute intensité. Le 22 octobre par exemple, pour la première fois depuis la seconde intifada en 2002, l’armée israélienne a employé des avions de combat F-16 afin de conduire des frappes en Cisjordanie [26]. La situation sécuritaire s’y dégrade assez, de fait, pour que plusieurs hauts-responsables militaires israéliens aient averti la primature israélienne, début janvier 2024, du risque de plus en plus fort d’un embrasement du territoire cisjordanien [27], affirmant, selon les propos rapportés par la presse israélienne, que « nous pourrions aboutir à une troisième Intifada [en Cisjordanie] » [28]. 

Au milieu de cette escalade sécuritaire, l’Autorité palestinienne apparaît impuissante et inaudible. Contestée tant sur la scène internationale qu’au sein de la population palestinienne de Gaza et de Cisjordanie [29] (un sondage publié en septembre 2023 indiquait que 78% des Palestiniens sondés souhaitaient le départ de Mahmoud Abbas [30]) en raison de son inaction et des scandales de corruption l’entourant son chef [31], l’Autorité palestinienne figure pourtant comme l’une des options explorées par les Etats-Unis pour administrer Gaza à l’issue de la guerre [32]. La rencontre - apparemment « tendue » selon les sources journalistiques [33] - entre Mahmoud Abbas et le Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken à Ramallah le 10 janvier 2024 a semble-t-il entériné l’incapacité actuelle de l’Autorité palestinienne à remplir sa mission, le contenu des discussions ayant porté, notamment, sur le besoin de réformer en profondeur cette institution [34] et sur la nécessité de faire cesser les violences en Cisjordanie [35]. 

Conclusion

La Cisjordanie, pétrie de sa complexité juridique, socio-politique et sécuritaire, apparaît ainsi de plus en plus exposée aux conséquences de l’attaque du Hamas contre Israël : alors que les forces israéliennes ont quadrillé le territoire et multiplient les opérations militaires de façon parfois meurtrière, les colons israéliens s’en prennent également aux civils palestiniens, poussant ces derniers à prendre les armes pour se défendre, faute de pouvoir compter sur une offre politique à même de les protéger. Si un embrasement de la Cisjordanie n’apparaît pas imminent, il reste une probabilité à ne pas exclure au vu de l’évolution de la situation dans les Territoires palestiniens. La capacité des médiateurs du conflit à parvenir à un nouveau cessez-le-feu, comme celle de la communauté internationale à modérer l’intensité des opérations militaires israéliennes - comme les Etats-Unis semblaient être parvenus à le faire le 18 décembre 2023 [36] - se montreront déterminants dans le contrôle de l’escalade sécuritaire en Cisjordanie.

Pour les notes, voir l'article sur Les Clés du Moyen-Orient

A lire sur les Clés du Moyen-Orient : 


– Les implantations israéliennes en Cisjordanie (2) : histoire d’une colonisation depuis 1967


– Israël - Palestine, la troisième Intifada a-t-elle commencé ?


– Hamas, Fatah, Djihad islamique palestinien… Retour sur la mosaïque de mouvements palestiniens 


– Premier conflit israélo-arabe de 1948 


– Le Qatar et l’Egypte, discrets mais incontournables médiateurs de la crise israélo-palestinienne



 

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