22 janvier 2024

Israël devant la justice : “Il y a assez d’éléments pour prouver que des actions pouvant constituer un génocide ont été commises”

 L’Afrique du Sud a tenté de démontrer qu’il y avait bien un risque de génocide à Gaza lors d’une première journée d’audience devant la Cour internationale de justice, ce jeudi. Ce vendredi, Israël y exposera ses propres arguments.


Valentin Dauchot
La Libre, Publié le 11-01-2024


Symboliquement, la démarche est évidemment lourde de sens. Septante-cinq ans après son adoption en 1948 suite à la Shoah, la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide est désormais invoquée… contre l’État d’Israël. Le 29 décembre, l’Afrique du Sud a en effet saisi en urgence la Cour internationale de justice (CIJ) basée à La Haye pour “crime de génocide à Gaza”. 

Dans une requête des 84 pages, l’État sud-africain exige notamment d’Israël qu’il “suspende immédiatement ses opérations militaires”, “cesse de tuer et de causer de graves blessures physiques et mentales au peuple palestinien à Gaza”, “cesse d’imposer des conditions de vie qui pourraient entraîner la destruction physique des Gazaouis” et laisse l’aide humanitaire, les experts du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, et les enquêteurs de la Cour pénale internationale entrer dans l’enclave. “Aucune attaque armée sur le territoire d’un État, aussi grave soit-elle […] ne peut justifier une violation de la Convention”, a affirmé devant la Cour le ministre sud-africain de la Justice, Ronald Lamola, ce jeudi. Une seconde journée d’audience, ce vendredi, permettra aux représentants israéliens de plaider leur cause.

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L’intention d’éliminer un groupe


Saisie en référé, la Cour ne s’exprimera pas sur le fond de la question avant plusieurs années, mais peut d’ores et déjà prendre un certain nombre de “mesures conservatoires” afin de protéger la population de Gaza, si elle juge totalement ou partiellement fondées les demandes sud-africaines. “À ce stade, il ne s’agit pas de prouver l’existence d’un génocide, mais la possibilité qu’un génocide se produise”, commente Pierre d’Argent, professeur de droit international à l’UCLouvain et premier secrétaire de la Cour internationale de Justice entre 2009 et 2011. Au plaignant de démontrer l’existence d’une “intention, non pas simplement de tuer, mais d’éliminer un groupe ethnique ou religieux en tant que tel”.

”Sur le plan matériel”, poursuit Pierre d’Argent, “je pense que l’Afrique du Sud a réuni largement assez d’éléments pour prouver que des actions pouvant constituer un génocide ont été commises. Plus de 23 000 morts (23 469 victimes, NdlR), ça suffit, il ne faut pas attendre un million de décès. S’agissant de l’intention, les plaidoiries de ce jeudi ont été assez éloquentes. Beaucoup de déclarations israéliennes officielles pointent vers de possibles violations de la Convention sur le génocide. Au début de l’opération militaire, Benjamin Netanyahou a notamment fait référence à la Bible devant ses troupes en évoquant l’épisode d’Amalek, lors duquel le peuple juif tue son ennemi, femmes et enfants inclus”. Son ministre de la Défense, Yoav Gallant, a quant à lui déclaré publiquement “nous combattons des animaux humains […] Nous agissons en conséquence”. “Soit une déshumanisation typique d’un discours génocidaire”, constate le professeur de droit international de l’UCLouvain.

 Israël vient se défendre

”L’Afrique du Sud a donc de bonnes chances d’obtenir certaines mesures conservatoires”, ajoute-t-il, “mais pas forcément celles qui ont été demandées. Je pense que la CIJ ordonnera le contrôle du discours public, l’incitation au génocide étant interdite. Mais il n’est absolument pas certain qu’elle exige une cessation des hostilités”. Israël, qui a qualifié jeudi l’Afrique du Sud de “bras juridique de l’organisation terroriste Hamas” et crie à l’antisémitisme, semble toutefois prendre la procédure très au sérieux.
L’État hébreu a dépêché sur place l’ancien président de sa Cour suprême – Aharon Barak – pour présenter sa version des faits, et fera valoir ses arguments ce vendredi pour balayer toute intention génocidaire. “Israël est en communication avec des chefs de quartiers à Gaza et leur ordonne de quitter les bâtiments deux heures avant de bombarder, l’armée envoie des prospectus avant de frapper,… Ils vont mettre en avant un certain nombre de mesures factuelles telles qu’exigées d’un belligérant”, commente Pierre d’Argent. “On peut imaginer que la Cour interdise de bombarder les hôpitaux dans le respect le plus strict du droit humanitaire, mais Israël va certainement apporter des preuves de l’existence de tunnels du Hamas sous les hôpitaux et de caches d’armes au sein même de ces hôpitaux, ce qui en fait des objectifs militaires légitimes au sens du droit international humanitaire. On entre dans un jeu de proportionnalité assez cynique, mais c’est un débat judiciaire contradictoire : chacun présente ses preuves et des juges indépendants décident sur base des règles de droit”.

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Quelle est la portée de la décision ?


Quelles que soient les mesures adoptées par la Cour, celles-ci ont une valeur contraignante. En cas de manquement israélien, le Conseil de Sécurité des Nations unies pourrait être appelé à adopter un certain nombre de sanctions. Ce qui illustre de facto les limites de la démarche : en cas de (probable) veto américain, la CIJ n’a aucun moyen de faire appliquer sa décision. 

”Il n’y a effectivement pas de force de police internationale pour forcer une mise en œuvre”, concède Pierre d’Argent. “Mais cela ne veut pas dire que l’ordonnance de la Cour internationale de justice sera dénuée d’effets. La Cour essaye toujours d’adopter une ordonnance la plus large possible. Ça dilue parfois un peu son contenu, mais s’il y a une décision claire, je vois mal les États-Unis mettre un veto. D’autant plus que la Présidente de la Cour est américaine. Quand la Cour se prononcera sur le fond du dossier, dans un deuxième temps, l’Afrique du Sud pourra par ailleurs demander des comptes tant pour violation de la Convention sur le génocide, que pour une violation éventuelle des mesures conservatoires, et ainsi obtenir des réparations sur cette base pour Gaza”. “Enfin”, conclut-il, “il s’agit un exercice d’alerte et de délégitimation auprès de l’opinion publique. Beaucoup d’États ont déjà dit qu’ils soutenaient l’Afrique du Sud. Ça ne résout pas tout, mais cela peut constituer un élément supplémentaire de pression politique, judiciaire et publique sur Israël”.

https://www.lalibre.be/international/2024/01/11/israel-devant-la-justice-il-y-a-assez-delements-pour-prouver-que-des-actions-pouvant-constituer-un-genocide-ont-ete-commises-LXDAY3HXNJDDHIQQWK2PRF7KVE/

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