23 janvier 2024

À Bruxelles, la situation des hommes demandeurs d’asile palestiniens devient intenable : "Ils sont à bout"

 1.

Loin de leur pays, sans nouvelles des leurs restés à Gaza ou en Cisjordanie, sans logement stable, ils sont soumis à une précarité physique et psychique alarmante, s'inquiètent des associations du terrain.

Cela fait plus de deux semaines que je n'ai plus aucune nouvelle de ma famille. Elle est à Gaza et il n'y a plus internet là-bas. Je ne sais donc pas ce qu'ils deviennent. C'est cela qui est le plus difficile. Je suis arrivé à Bruxelles il y a plusieurs semaines, je n'y connaissais personne et j'essaye de m'en sortir, mais c'est très dur pour moi." 

Nael a 26 ans. À lui seul, il témoigne de la situation de centaines de ressortissants palestiniens dont les conditions de vie physiques et psychologiques sont de plus en plus précaires dans notre pays.  

Trois mille hommes sans logement stable 

Pour comprendre leur situation, il faut se plonger dans les chiffres issus de l'Office des étrangers. Ces derniers mois, les ressortissants palestiniens ont constitué un des principaux groupes demandant protection à la Belgique. Ils étaient 2 802 à le faire en 2022, et 3249 en 2023 (en troisième position derrière les Syriens et les Afghans).  

Aujourd'hui, plus de 3 000 de ces Palestiniens sont hébergés dans le réseau d'accueil fédéral pour les demandeurs d'asile. Mais l'écrasante majorité des hommes seuls arrivés ces derniers mois vivent dans la rue, dans des squats (un squat accueillant quarante Palestiniens vient de s'ouvrir dans le centre de Bruxelles), dans des hébergements d'urgence établis par la plateforme citoyenne et des associations bruxelloises, ou parmi les places que le Samusocial met à disposition des sans-abri. 

Si aucun accueil stable ne leur est octroyé, c'est qu'au vu du nombre élevé de demandeurs d'asile, le secrétaire d'État à l' Asile et à la Migration, Nicole de Moor (CD&V), a suspendu depuis cet été l'accueil des hommes seuls dans les centres Fedasil ou de la CroixRouge, pour réserver les places aux familles avec enfants. Trois mille hommes seuls isolés sont donc laissés aujourd'hui à leur propre compte. Parmi eux - selon des estimations du terrain-, plusieurs centaines seraient palestiniens. Et c'est leur situation qui inquiète particulièrement de nombreuses associations.  

Un sentiment d’impuissance et d’angoisse 

Coordinateur médical des opérations de Médecins sans frontières en Belgique, Jean-Paul Mangion passe énormément de temps au Hub humanitaire qui accueille et oriente les personnes migrantes au centre de Bruxelles. “J’y rencontre de plus en plus de Palestiniens, confie-t-il, et ils représentent l’essentiel des patients lors des permanences psychologiques. Ils sont dévastés, d’autant plus depuis le début du conflit à Gaza. Beaucoup ont traversé la Méditerranée avec l’espoir de pouvoir offrir une meilleure vie à leur famille depuis la Belgique. Mais en plus d’un accueil indigne dans notre pays, tout le sens de leur démarche est anéanti : ils n’ont désormais plus aucune nouvelle des leurs restés à Gaza, ils se sentent impuissants et vivent dans l’angoisse. Ils sont à bout.” 

Depuis le service de santé mentale Ulysse, spécialisé dans l'accompagnement de personnes exilées, le directeur Alain Vanoeteren partage un constat identique. "Depuis de nombreuses années, des Palestiniens fuient des risques d'emprisonnement, de tortures, de ségrégation ou d'oppressions économiques, sociales et politiques. Certains évoquent comme raison de leur fuite aussi bien le blocus israélien et ses conséquences que la logique liberticide et terrorisante du Hamas. Aujourd'hui, nous rencontrons de nombreux patients palestiniens qui s'inquiètent pour leurs proches restés au pays et dont ils n'ont plus de nouvelles. Ils culpabilisent de ne pas être là. D'autres apprennent le décès de membres de leur famille alors qu'ils vivent eux-mêmes dans la rue ou dans des abris de fortune ici à Bruxelles. C'est difficilement vivable et leur situation est alarmante. Je me demande souvent comment il n'y a pas davantage de manifestations de désespoir. Peut-être ont-ils l'habitude d'être maltraités ... "  

Pour une large application du statut de réfugié  

Dans une note qu'il publiera fin de cette semaine, le Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers) évoque une dernière difficulté qui a touché les Palestiniens arrivés ces derniers mois. Du 20 octobre au 19 décembre, le CGRA (le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides qui octroie l'asile) a suspendu certaines décisions d'octroi ou de refus d'octroi du statut de protection subsidiaire pour les dossiers palestiniens. L'objectif du Commissariat, comme il le fait régulièrement, était de disposer "d'informations objectives suffisantes pour pouvoir évaluer avec précision la situation en matière de sécurité dans les territoires palestiniens". Si le CGRA a repris le traitement de tous les dossiers, ce gel a prolongé les procédures d'asile et suscité "davantage d'inquiétude et d'instabilité psychologique", regrette le Ciré. 

Au vu de cette situation, insiste Alain Vanoeteren, la Belgique doit prendre en considération de manière spécifique la situation des personnes palestiniennes pour qu'elles aient accès aux structures d'accueil et de soutiens psychologiques renforcés et adaptés."  

Alors qu'en 2023, 929 Palestiniens ont obtenu le statut de réfugié (ce qui en fait le cinquième pays au rang des pays dont les ressortissants obtiennent un tel statut), le Ciré et les associations espèrent qu'une large application du statut de réfugié sera octroyée aux Palestiniens originaires de Gaza.  

Bosco d'Otreppe 

La Libre Belgique - jeudi 18 janvier 2024

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2. 

Depuis Gaza, il est devenu impossible de demander un visa humanitaire pour la Belgique

Pour ce faire, les Gazaouis devraient se rendre à Jérusalem ou en Égypte, ce qui leur est impossible. Des avocats citeront ce vendredi l’État belge en justice pour assouplir la procédure.

Depuis le 7 octobre, 244 personnes en moyenne sont tuées chaque jour à Gaza, selon le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA). "Soit un civil ou une civile toutes les six minutes, souligne l'avocate Hélène Crokart, du bureau d'avocats Aradia. Et pourtant, aucune possibilité n'est laissée à cette population d'introduire une demande de visa humanitaire vers notre pays."

Pour déposer une demande de visa humanitaire, la procédure impose à la personne de se présenter physiquement auprès d'un poste consulaire ou diplomatique compétent. Aucune dérogation n'est autorisée, car il y a la nécessité pour les autorités de pouvoir authentifier physiquement la personne et ses documents. Or, depuis le début de la guerre, plus aucun poste consulaire ou diplomatique n'est ouvert dans la bande de Gaza. Pour déposer une telle demande, les Gazaouis devraient se rendre en Égypte ou à Jérusalem, ce qui est impossible à cause de la fermeture des frontières.  

Pour plusieurs avocats, dont Hélène Crokart, cette situation est devenue "indéfendable". Ce vendredi 19 janvier, au tribunal de première instance à Bruxelles, elle citera l'État belge en justice. Elle y représentera plusieurs familles dont certains membres sont reconnus réfugiés en Belgique, mais dont les proches sont empêchés de soumettre une demande de visa humanitaire pour pouvoir quitter Gaza. Un de ses arguments s'appuiera sur le fait que l'État belge permet certaines exceptions: dans le cadre du regroupement familial, il est possible d'introduire une demande de visa par voie électronique. "L'argument de l'authentification physique ne tient donc pas la route, considère l'avocate. L'attitude de l'État belge traduit donc un manque de volonté politique manifeste" envers les résidents de Gaza En fonction des décisions juridiques, ce dossier pourrait donc rebondir ces prochaines semaines.  

Notons que ces derniers mois, les autorités belges se sont efforcées de permettre aux Belges et à leurs familles coincés à Gaza de franchir le poste-frontière de Rafah. Depuis, note Ina Vandenberghe, adjointe du directeur du Centre fédéral Migration Myria, plus de 300 personnes, en majorité des femmes et des enfants ont pu quitter Gaza, et ce, grâce à une intervention des autorités belges et avec l'accord d'Israël ou de l'Égypte. Il s'agissait de personnes dont un conjoint ou un parent résidait en Belgique et qui n'étaient pas forcément belges. "Pour autant, ces évacuations ne sont pas possibles pour un non-Belge dont aucun membre de sa famille immédiate ne réside dans notre pays." 

BdO

 https://www.lalibre.be/belgique/societe/2024/01/18/depuis-gaza-il-est-devenu-impossible-de-demander-un-visa-humanitaire-pour-la-belgique-IT42LG5FMBGHFAUQGAXTCA2FLA/

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Publié le 18/04/2024 • modifié le 18/04/2024  • Durée de lecture : 7 minutes Voir l'article original, dans Les clés de...