05 octobre 2010

Artistes de la confiance

Extraits d'un article paru dans La Libre en janvier 2010

Elik et Dan n’ont pas 30 ans. Ils vivent dans un petit appartement qui leur sert de quartier général, situé dans un quartier bourgeois de Tel Aviv.

Dan est un "refuznik", un de ces soldats qui ont refusé de servir dans les territoires occupés. Il collabore depuis de nombreuses années avec Elik, et il me sert de guide. Il m’explique leur situation et leur combat. Leur association s’appelle "Les combattants de la paix", un nom paradoxal qui exprime bien l’intensité de leur lutte pacifique mais déterminée. Elle regroupe des soldats israéliens et des militants palestiniens qui refusent le recours aux armes, tant pour l’occupation que pour la résistance. Le mouvement des combattants de la paix regroupe une centaine d’activistes des deux camps.

Leur action a débuté en 2002. Un groupe de militaires, écœurés par les actions menées par Tsahal dans les territoires occupés, publie une lettre ouverte : "Le courage de refuser". Un an plus tard, ils sont rejoints par des pilotes de chasse, symboles les plus nobles et les plus admirés du patriotisme et du sionisme. Petit à petit, les rangs des "Refuzniks" grandissent, jusqu’à six cents militaires. Mais comme souvent, les médias, après en avoir beaucoup parlé, se désintéressent du mouvement. Cette érosion médiatique va conduire certains Refuzniks à recentrer leur action.

Le refus est courageux, mais cela demeure une action négative. Agir, œuvrer pour la paix constitue une action bien plus forte. C’est ainsi qu’est né le mouvement des "Combattants pour la paix", lequel se devait d’attirer des militants palestiniens pour trouver une véritable légitimité.

En minibus, avec une demi-douzaine de militants israéliens, nous quittons Tel Aviv pour gagner un village palestinien. Les consignes de sécurité sont strictes : pas de bruit lorsque nous passerons la frontière à travers le maquis ; pas de violence à l’encontre des soldats israéliens, pas de provocations, sous peine de nous faire tirer dessus. C’est vraiment la guerre. Le chauffeur nous dépose à un carrefour désert. Une camionnette surgit de nulle part et nous embarque. Cinq kilomètres plus loin, nouvel arrêt. A pied, nous nous enfonçons dans le maquis. Des soldats israéliens patrouillent le long de la frontière, à moins de deux cents mètres. En silence, je suis mes compagnons, partagé entre la peur et l’excitation. Enfin, nous atteignons une route, que j’imagine être en territoire palestinien. Une camionnette vétuste nous attend, et nous nous mettons en route vers le village où doit avoir lieu la rencontre.

Elik et Dan m’ont expliqué le point de départ de cette action : un villageois a été arrêté sans raison par les autorités israéliennes. La manifestation va opposer vingt-cinq militants de la paix contre autant de soldats israéliens. Et pour les observer et rendre compte, des journalistes. Entre les deux camps, des fils barbelés, des pneus calcinés. Une tension terrible. La nervosité gagne tout le monde. Les militaires lancent des sommations, auxquelles les manifestants répondent par des invectives. La force osera-t-elle recourir aux armes à feu ? Par chance, ce jour-là, on se limitera à quelques empoignades.

Le lendemain, les militants de la paix se retrouvent, après s’être une fois encore infiltrés du côté palestinien. A l’ordre du jour, la préparation minutieuse des discussions futures. Les nuances, la diplomatie, le tact avec lequel ces deux cultures apparemment opposées dialoguent, sont magnifiques.
A la sortie de la réunion, vers midi, nous nous retrouvons pas loin de Ramallah, dans une école que traverse le mur de sécurité bâti par les Israéliens pour se protéger et qui passe parfois au beau milieu de bâtiments, de quartiers, de rues. Il y a du monde dans la cour de l’école. Les combattants de la paix ont fait venir, outre les journalistes sans lesquels cette opération n’aurait aucun impact, des députés européens et des témoins. Ils commencent par expliquer leurs motivations et leurs actions. Ils rappellent l’importance de la parité israélo-palestinienne : pour chaque combattant israélien, il faut un correspondant palestinien qui a lui aussi le courage de refuser la voie des armes.

Refus de la violence et acceptation du dialogue. C’est la magie du risque réciproque : en refusant de servir "son" camp contre l’autre, on prouve à ce dernier qu’on est digne de confiance.

Elik témoigne. Pilote de chasse. La crème de Tsahal, la fierté du pays. Patriote, loyal, dévoué. Un jour, tout bascule : sa sœur est tuée dans un attentat suicide. Elik s’interroge : comment est-il possible que des gens acceptent de se suicider en donnant la mort autour d’eux ? Quel désespoir inouï anime ces kamikazes ? La logique aurait voulu qu’il cherche à se venger. Les représailles, ainsi que l’Etat d’Israël a pris l’habitude de les pratiquer. Disproportionnés, sans doute, mais quelles sont les proportions de l’horreur et du crime ? Elik hésite, puis rejette cette logique, malgré la pression terrible que toute une société, toute une tradition, toute une culture font peser sur lui. Pour elles, refuser est indigne. Une trahison, un déshonneur. Impossible de parler à l’ennemi, et plus encore de lui faire confiance. Quant à construire quelque chose avec lui…

 Je ne sais pas pourquoi je songe que leur militantisme est une forme d’art, particulièrement osé, à la pointe de la modernité et de l’humanité. Ces jeunes gens ne sont pas seulement des rêveurs ; ils ont une maturité qui, lorsqu’on écoute les médias officiels, semble cruellement manquer aux dirigeants politiques des deux camps.


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