21 octobre 2023

L'avis d'Elena Aoun sur les évènements qui se passent actuellement en Israël et en Palestine ?

 "Certains Palestiniens ne connaissent que le contrôle d’Israël"

 Comment lisez-vous les évènements qui se passent actuellement en Israël et en Palestine ?    

L’avis d’Elena Aoun, professeure et chercheuse en relations internationales à l’UCLouvain. (1)

La Libre, 10 octobre 2023

Une façon de comprendre la situation actuelle est de remonter dans le temps et de s’appuyer sur le droit international. La création d’un foyer national juif au lendemain de la Première Guerre mondiale est déjà un acte colonial. Après la Seconde Guerre mondiale, le plan de partage est refusé par les Palestiniens qui ne comprennent pas pourquoi ils doivent faire de la place à des Juifs européens alors qu’ils n’ont eux-mêmes pas joué de rôle dans la Shoah. Un État israélien est créé, mais aucun État palestinien. Depuis, les Palestiniens sont dans un entre-deux : il y a ceux qui restent dans ce qui est aujourd’hui Israël, et ceux qui fuient dans des camps en Cisjordanie et à Gaza. En 1967, ces zones tombent sous le contrôle israélien, et depuis, toute la politique menée par Israël est en violation directe avec les conventions de Genève – des traités internationaux qui dictent les règles de conduite à adopter en cas de conflits armés. 

Aujourd’hui, on a des générations de Palestiniens qui ne connaissent rien d’autre que le contrôle violent par Israël, et qui voient malgré tout la communauté internationale en rester proche. Il y a un poids symbolique, psychologique, politique et économique énorme qui pèse sur leurs épaules, et qui finit par conduire à ces éruptions de violence. Personne ne s’attendait aux attaques du 7 octobre, mais la violence de la révolte, elle, était prévisible. Humainement, rien ne justifie une violence aussi débridée, mais scientifiquement, c’est une position normative et philosophique qui se comprend. Quand on travaille sur les conflits internationaux, on se rend compte que les “solutions” qui passent par un déséquilibre des puissances vont forcément nourrir la violence. Dans l’immense majorité des cas de colonisations, il a fallu recourir à une forme de conflit violent pour aller vers l’indépendance.

Que recommandez-vous pour aborder le sujet dans toute sa complexité et sans tomber dans une polarisation peu constructive, voire dangereuse ?

Ces dernières années, on observe une difficulté de plus en plus marquée à pouvoir parler du conflit israélo-palestinien en visibilisant la position et le quotidien des Palestiniens. Il faut pouvoir aller au-delà de la dichotomie “Palestine = terroriste” et “Israël = puissance vertueuse”. Oui, on peut parler d’actes terroristes de la part du Hamas aujourd’hui. Mais pour parvenir à apaiser les tensions et tenter de résoudre le conflit, il faut aller plus loin que ce constat et se poser les bonnes questions. À mon sens, il faut tenter de comprendre le caractère structurel de la situation pour poser un bon diagnostic sur cette violence palestinienne récurrente, qui ne fait que répondre à une multiplicité de formes de violences israéliennes.
Ce conflit est compliqué, et pour pouvoir l’appréhender au mieux, je conseille de se documenter. On peut commencer en relisant les conventions de Genève, par exemple. Il y a aussi les rapports d’ONG extrêmement sérieuses, comme Human Rights Watch. Il est également intéressant de se pencher sur le travail des ONG israéliennes qui documentent elles-mêmes les exactions israéliennes dans les territoires palestiniens. L’objectif est de se faire une idée relativement précise de la situation sur le terrain.
Il faut, quoi qu’il arrive, bien garder en tête les enjeux qui entourent ce conflit. Il se greffe sur une histoire extrêmement douloureuse, pour les Juifs évidemment, mais aussi pour les Européens, qui ont été partie prenante dans le drame de la Shoah, et dans tout ce qui a mené les sionistes européens à se dire qu’ils n’avaient pas d’avenir en Europe et qu’ils devaient trouver un foyer national ailleurs. Israël, c’est l’histoire européenne avant d’être l’histoire du Moyen-Orient.

https://www.lalibre.be/debats/ripostes/2023/10/10/conflit-israelo-palestinien-la-paix-sera-possible-le-jour-ou-il-y-aura-deux-gagnants-et-deux-perdants-HFRSJCLN5BCKLFIHNPTLV35AAY/

 (1) Elena Aoun a effectué un doctorat en Sciences politiques à Sciences-Po Paris et un post-doctorat à l’Institut d’études européennes des Universités de Montréal et McGill.
Elle a enseigné à l’Université Libre de Bruxelles et à l’Université de Namur avant de passer à l’Université Catholique de Louvain. 
Ses recherches portent sur la politique étrangère de l’Europe au Moyen-Orient, notamment sur le conflit israélo-palestinien, les différentes crises du Moyen-Orient et le maintien de la paix. 
Elle est aussi membre du Centre d’étude des crises et conflits internationaux (CECRI), du Réseau de recherche francophone sur les opérations de paix (Université de Montréal), de l’International Studies Association et collaboratrice au centre de Recherche et Enseignement en Politique internationale (REPI – ULB).  

A lire aussi sur larcenciel des extraits de son article L’Union Européenne et le conflit israélo-palestinien, Elena Aoun et Mélodie Le Hay
, Les clés du Moyen-Orient - Publié le 13/12/2013 • modifié le 01/06/2016.

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