20 octobre 2015

L’écrivain qui a quitté son pays faute de pouvoir le changer



Sayed Kashua a les idées bien tranchées. Les actes aussi. En juillet de l’an dernier, il quitte Israël avec sa famille. Miné par la haine, la violence, le racisme et les injustices qui déchirent son pays. Désespéré et impuissant face à tout ce qu’il combat par la plume depuis près d’un quart de siècle. A 40 ans, l’écrivain et journaliste israélien, d’origine palestinienne mais de langue hébraïque, est un peu la conscience de la minorité arabe d’Israël. Ses récits racontent les difficultés de ces citoyens à part - pas vraiment - entière de l’Etat hébreu. Ses chroniques satiriques, où il fait preuve d’un humour bien trempé et décalé, prêchent - presque inlassablement - l’édification d’un Etat utopique, où Juifs et Arabes vivraient égaux. Mais cet été-là, "quelque chose s’est brisé en moi" , écrit-il dans le "Haaretz", un quotidien dont il est l’un des chroniqueurs vedettes depuis des années.

Le mois précédent, trois adolescents israéliens disparaissaient en Cisjordanie. Leurs corps étaient retrouvés, sans vie, trois semaines plus tard. Entre-temps, Israël avait lancé une opération de police musclée dans le territoire palestinien. Le lendemain de la macabre découverte, un adolescent palestinien était brûlé vif par des extrémistes juifs. Une semaine plus tard, suite à l’intensification des tirs de roquettes sur Israël, l’armée israélienne lançait une offensive dans la bande de Gaza.

"Cela fait vingt-cinq ans que j’écris en hébreu, et rien n’a changé" , regrette Sayed Kashua quelques jours plus tôt dans le "Haaretz". "Vingt-cinq ans pendant lesquels je n’ai pas eu beaucoup de raisons d’être optimiste mais j’ai continué à croire que c’était encore possible que, un jour, ce lieu où vivent des Juifs et des Arabes puisse connaître une histoire qui ne nie pas l’histoire de l’autre" , poursuit-il dans cette longue chronique où il explicite les raisons qui le poussent à quitter la terre de ses ancêtres, où ses aïeux ont choisi de rester à la fondation de l’Etat d’Israël.

Un exil américain

Avec ses récits, rédigés en hébreu, l’écrivain pensait faire partager plus facilement à la communauté juive dominante le vécu et l’état d’esprit des citoyens arabes d’Israël. Il espérait changer les mentalités, puis la situation du pays. "Grâce à mes histoires, un jour, nous deviendrions des citoyens égaux, presque comme les Juifs."
Mais cet été-là, la résignation l’emporte. Dans des débats auxquels il participe, il comprend avec douleur qu’ " une majorité désespérément déterminante dans le pays ne reconnaît pas à l’Arabe le droit de vivre, en tout cas pas dans ce pays" .
 
Alors, Sayed Kashua précipite son départ aux Etats-Unis, où il avait prévu de passer une année sabbatique à enseigner. L’université de l’Illinois, à Urbana, l’avait invité dans le cadre d’un programme sur la société israélienne et le Moyen-Orient.
Pour autant, il n’a pas renoncé à ce "pouvoir de l’écriture" qu’il comprend très vite. Lui, originaire d’un petit village à majorité arabe du centre d’Israël, qu’un professeur repère et envoie dès 14 ans dans un prestigieux internat à Jérusalem. "Tout ce que je devais faire, c’était écrire, et l’occupation prendrait fin" , raconte encore l’écrivain dans la même chronique.
Trois romans et une série télévisée naîtront de son imagination. L’an dernier, son premier livre, "Les Arabes dansent aussi" (L’Olivier, 2002), est devenu un film dont il a signé le scénario. Un projet qui a abouti l’an dernier et qui témoigne d’une de ses préoccupations principales, le souci de la transmission, quel que soit le médium.

Un plan de paix osé

Six mois plus tôt, il livrait dans une autre chronique du "Haaretz" un "plan de paix révolutionnaire" en quarante points, à la fois audacieux, farfelu et aussi drôle qu’impitoyable, traduisant les tares et dysfonctionnements de la société israélienne. Il y esquissait les contours d’un "nouvel Etat" , qui sera un "havre" tant pour les Juifs que pour les Palestiniens du monde entier, les uns et les autres ayant fait "la preuve devant une commission ad-hoc" qu’ils sont persécutés et discriminés du fait, respectivement, de leur "judéité" et "palestinité" .

Dans cet Etat, soulignait-il, la foi et l’hérésie sont autorisées mais il n’y aura pas de religion d’Etat. Il y sera interdit de fonder des partis et des institutions scolaires juifs ou arabes. "L’arabe et l’hébreu seront les langues obligatoires dans l’ensemble des réseaux éducatifs du pays, jusqu’à ce qu’elles se fondent en une seule" , ose-t-il même dans son vingt-troisième point. Un Etat où "un seul et unique narratif historique sera enseigné à tous les enfants" .
Pour cet Etat dont le nom sera "changé" , Sayed Kashua recommande un hymne national "sans paroles" et un "drapeau blanc" à brandir lors des cérémonies sportives. Les politiciens seront remplacés par les philosophes - qui n’en seront pas s’ils croient en Dieu. Enfin, préconise-t-il, "tout citoyen ou citoyenne qui se croit supérieur à un ou une autre sera déporté(e) en Sibérie" .
S’agissant de son exil volontaire aux Etats-Unis, qu’il pensait "définitif" à son départ, Sayed Kashua évoquait au début de cet été la perspective d’un retour au pays. Qui ferait fi des injustices, toujours criantes.


Sayed Kashua, écrivain déçu

D’origine palestinienne, l’Israélien Sayed Kashua a très vite compris le pouvoir de l’écriture. Il en a fait son métier. Ses récits de fiction, sa série télévisée et ses chroniques journalistiques racontent le quotidien de la minorité arabe d’Israël de laquelle il provient.
En écrivant en hébreu, il pensait faire évoluer les mentalités dans la communauté juive majoritaire, et ensuite changer le cours des choses. Las, l’an dernier, il quitte Israël, conscient de son "échec", devant la montée de l’intolérance et des violences.


http://www.lalibre.be/actu/international/les-extravagants-310-l-ecrivain-qui-a-quitte-son-pays-faute-de-pouvoir-le-changer-55d371c035708aa437954eb3

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