24 novembre 2016

Une lettre de Gaza aux Indiens de Standing Rock

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Chers Indiens d’Amérique,
Bien que nous soyons de couleurs, religions, cultures et contrées différentes, j’ai découvert, avec les protestations de Standing Rock, que nous avions beaucoup plus de choses en commun que de différences. Quand je lis votre histoire, je puis nous y voir reflétés, mon peuple et moi. Je sens au fond de mon cœur que votre combat est le mien et que je ne suis pas seule dans la lutte contre l’injustice.


Mes ancêtres n’étaient pas les seuls qui vivaient en Palestine. Juifs, chrétiens et Arabes vivaient tous les uns aux côtés des autres, dans mon pays. Mais mes ancêtres – y compris mes grands-parents et mes arrière-grands-parents – étaient le peuple indigène, tout comme vous. Et ils ont subi le même sort que votre peuple. La politique américaine d’occupation et de déportation via des marches forcées comme la Piste des Larmes, avec le transfert progressif de tant des vôtres dans des réserves surpeuplées et appauvries, me heurte profondément parce qu’elle ressemble étonnamment à l’épuration ethnique de mes ancêtres par l’occupation militaire israélienne lors de ce que nous appelons « al-Nakba » (la catastrophe). Nous savons ce que vous savez : que notre terre est sacrée.

La Piste des Larmes
En 1948, mes ancêtres — en même temps que près d’un million d’autres Palestiniens — ont été forcés par la peur ou par la force (dans certains cas à la pointe du fusil) de quitter leurs terres. Plus de 10 000 autres ont été massacrés. Des centaines de nos villages et villes ont été complètement détruits dans un plan systématique d’effacement de nos identités — exactement de la même façon que vous avez été harcelés sans arrêt.
La Palestine, de nos jours, ne représente plus que 22 pour 100 de notre terre natale d’origine. Comme vous, une partie de mon peuple (1,5 million, estime-t-on) doit vivre dans des « camps » (notre mot pour « réserves ») dégradants, où les conditions de vie sont « comparables à celles du tiers-monde ». À l’instar de vos réserves, ces camps se caractérisent par des taux élevés de chômage, de pauvreté et de suicide.
Bien d’autres Palestiniens (environ 6 millions) — dont, aujourd’hui, les descendants des habitants d’origine — sont disséminés un peu partout dans le monde, de la même façon que les vôtres le sont un peu partout aux États-Unis. Aujourd’hui, non seulement l’occupation militaire a accaparé notre terre pour en faire « l’État d’Israël », mais elle continue à mener une politique d’expulsion en détruisant des maisons palestiniennes dans le minuscule bout de terre que nous avons encore, en implantant des colonies illégales et en entravant notre liberté de mouvement au moyen d’un réseau de « check-points sécuritaires ».

La Nakba palestinienne
Comme vous, nous ne contrôlons pas nos ressources naturelles. De même que vous n’avez pas été consultés à propos du Dakota Access Pipeline qui, s’il est installé, traversera vos terres et contaminera vos ressources en eau, nous ne sommes en aucun cas consultés par Israël, qui veut exploiter nos approvisionnements en gaz dans notre port à son propre profit et qui monopolise les réserves d’eau de la Cisjordanie au profit des espaces verts de ses propres résidents — en laissant les Palestiniens mourir de soif et de sécheresse. À Gaza, où je vis, les conditions dans lesquelles nous devons vivre font que 10 pour 100 à peine de notre approvisionnement en eau est de l’eau potable. Nous aussi, nous savons que « l’eau, c’est la vie ».
Quand j’étais jeune, j’ai vu comment les médias véhiculaient des images négatives à votre sujet, particulièrement dans les films hollywoodiens – vous dépeignant comme des gens non civilisés, sauvages, racistes et abusant de drogues. De la même façon, les gens de mon peuple sont décrits comme terroristes, « rétrogrades », misogynes et antisémites. Et personne, en plus, ne dira qu’en fait, les blancs sont exactement pareils.
Comme la vôtre, notre résistance a été stigmatisée comme des actes de terrorisme et de violence et non comme un combat pour la survie et la dignité. Cela n’a rien de surprenant, puisque telle est la politique de tout oppresseur cherchant à criminaliser autrui afin de justifier ses propres actes. Telle est la manière dont l’oppresseur crée sa propre version de la réalité afin de rationaliser son comportement et de manipuler les masses. Et tel est le plan de l’oppresseur afin que les peuples colonisés se sentent faibles et isolés. Mais vous êtes en train de prouver qu’il n’y arrivera pas et je voudrais que vous sachiez que mon peuple est avec vous.
Voir vos femmes, vos aînés et vos jeunes se dresser tous ensemble pour protester contre le pipeline et contre votre exclusion du processus décisionnel, voilà qui est très inspirant ! Cela nous donne la force de poursuivre notre propre combat.
En tant que Palestinienne de Gaza, j’ai grandi dans le sentiment d’être de plus en plus détachée du reste du monde à mesure qu’Israël durcit son blocus depuis une décennie. Je suis sûre que vous êtes nombreux à éprouver la même chose. Mais nous ne sommes pas isolés. Nous sommes des « âmes sœurs » de la façon qui compte vraiment.

Publié le 15 novembre 2016 sur We are not numbers
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Israa Suliman
Israa, 20 ans, est étudiante en littérature anglaise à l’Université islamique de Gaza. Trois choses la passionnent : les chats, la mer à Gaza et l’écriture. « Nous devrions être ivres d’écrire, de sorte que la réalité ne pourrait nous détruire », dit-elle. Influencée par les récits des Écrivains pour la Liberté et d’Anne Frank, Israa se raccroche de toutes ses forces à sa plume, croyant dans le pouvoir des mots à promouvoir le changement. Outre sa passion de l’écriture, elle aime la musique et elle rêve de devenir un jour violoniste.

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