24 septembre 2009

Des Juifs affrontent le sionisme

Extraits d'un article de
Daniel Lange/Levitsky

Juin 2009
L’une des principales conséquences du bombardement et de l’invasion par le gouvernement israélien de la bande de Gaza, l’hiver dernier, fut d’insuffler une nouvelle vitalité au sein des groupes de gauche et pacifistes solidaires avec la lutte palestinienne pour la justice et la libération.

Après le supposé cessez-le-feu, cette vague d’activité s’est poursuivie par des manifestations et des actions directes de New York à Los Angeles, Paris, Jaffa et Tel Aviv. Un fait très remarquable fut l’apparition, si l’on peut dire, d’une section de plus en plus large et bruyante du monde juif, laquelle n’est pas seulement opposée aux guerres et occupations militaires du gouvernement israélien, mais est également critique à l’égard du sionisme même.

Les blocages des consulats israéliens de Los Angeles et de San Francisco ont été entrepris en partie par des membres du Réseau antisioniste juif récemment créé. L’occupation du consulat de Toronto a été effectuée par les Femmes juives pour Gaza, un groupe comprenant des membres du réseau antisioniste canadien Not In Our Name [1]. Une manifestation de sept cents personnes à New York City a été organisée par Jews Say No [2], un groupe de militants juifs, dont beaucoup critiquent le sionisme depuis très longtemps. Le groupe Jewdas, de la diaspora londonienne, a recouru à un canular par mail pour annuler un rassemblement pour la guerre organisé par le Bureau de députation des Juifs britanniques et a reçu toute une vague de soutien. Et le groupe d’action directe antinationaliste israélien, Anarchistes contre le Mur, a bloqué une base aérienne israélienne à Tel Aviv. La quasi-totalité des événements publics les plus visibles montrant une opposition juive à la récente escalade de la guerre contre Gaza étaient organisés et menés à bien pour une bonne part par des Juifs non sionistes et antisionistes (de même que ceux qui s’opposent au sionisme mais préfèrent ne pas définir leur politique en relation avec le sionisme).

Ce n’est pas une coïncidence. Les huit années de l’actuelle Intifada ont aussi permis d’assister au développement du mouvement mondial de solidarité avec la Palestine et son actuelle stratégie de boycott, de désinvestissements et de sanctions. Dans un même temps, la critique juive à l’égard du sionisme s’est davantage répandue et fait entendre qu’à n’importe quel autre moment depuis la création d’Israël en 1948, malgré le soutien sans réserve offert depuis 1967 par le gouvernement des États-Unis à Israël. Ce soutien a été expliqué par les avocats et les défenseurs d’Israël, de même que par Washington, comme la conséquence du soutien débordant des communautés juives américaines à Israël. C’est naturellement on ne peut plus faux. Comme l’ont fait remarquer de nombreux analystes [3], les communautés juives jouent un rôle plutôt marginal dans l’encouragement du soutien du gouvernement américain à Israël. Bien plus important est le rôle de l’industrie de l’armement, qui subventionne l’aide américaine à Israël ; de l’industrie pétrolière, qui voit en Israël un contrepoids à la puissance régionale des États arabes riches en pétrole ; de la droite chrétienne, qui croit que la domination juive sur tout l’Israël biblique est une condition préalable au second avènement : et le racisme anti-arabe et antimusulman, de même que la xénophobie, particulièrement après les attentats du 11 septembre 2001 et les guerres américaines en Afghanistan et en Irak. La où l’influence juive est importante – dans les efforts de pression de la part de l’American Israel Public Affairs Committee [4], avec l’influence d’un petit nombre d’individus dont la politique ne reflète en aucun cas l’opinion publique juive américaine, même si cela se retrouve dans les données collectées par les sondages conservateurs.
La rhétorique du soutien américain à Israël comme réponse aux intérêts juifs américains de moins en moins convaincante.
Le récent accroissement de visibilité des critiques juives à l’égard du sionisme a eu lieu dans un contexte d’expression en hausse et d’acceptation de la critique à l’égard d’Israël au sein des communautés juives américaines.
(suite…)
Pourquoi des voix plus « radicales » se sont-elles fait entendre si fort cet hiver ?
Je crois que c’est en raison des glissements dans le mouvement de solidarité avec la Palestine ainsi que de l’élargissement du paysage politique de la gauche et des changements dans la façon des Juifs de penser identité et politique.
Une source réside dans un ensemble de développements au sein du mouvement de solidarité avec la Palestine qui ont poussé le mouvement dans son ensemble vers une analyse structurelle centrée sur le sionisme. Le déclenchement de l’Intifada de 2000 a provoqué au sein de la gauche (et au-delà) une conscientisation bien plus large à propos et de l’occupation de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem-Est (1967) et des réalités de la guerre contre les Palestiniens.
(...)
Un autre élément clé dans la recrudescence des critiques du sionisme par les Juifs – bien que des remarques sont rarement faîtes à ce propos dans la presse libérale ou progressiste – est le rôle de pivot joué dans ce développement par les mouvements féministes et homosexuels ainsi que leurs analyses[10]. Tous ces projets apportent au mouvement une orientation vers une analyse structurelle, une position centrale antinationaliste et antimilitariste et un regard sur les façons dont les structures de pouvoir raciales, nationales, économiques, hommes/femmes et sexuelles se recoupent et se soutiennent souvent mutuellement.
(...)
Un nouveau transnationalisme anticolonialiste, antinationaliste, anticapitaliste, hostile à l’autoritarisme, mais en aucun cas unifié sur le plan organisationnel.
(...)
Finalement, pour en revenir à la sphère spécifiquement juive, la montée de la critique à l’égard du sionisme en tant que tel fait partie d’un large glissement dans la culture et la pensée des Juifs sur leur identité. Après plus de cinquante ans de domination sioniste sur l’éducation et les institutions communautaires juives, des voix alternatives rompent le silence, souvent sans rapport avec la Palestine mais qui finissent par soutenir les efforts de solidarité avec la Palestine. Depuis les deux dernières décennies, il y a eu une augmentation constante de l'intérêt pour les cultures et l’histoire de la diaspora juive, surtout parmi les Juifs plus jeunes, insatisfaits de la conception herzlienne-hitlérienne de la vie et de l’histoire des Juifs telle qu’elle est présentée par les institutions « traditionnelles », ainsi que pour le fondamentalisme religieux qui est leur principal rival.
La chose a été particulièrement visible aux États-Unis sous ses formes ashkénazes : aujourd’hui, les orchestres klezmer emplissent les salles importantes et la « musique juive » est devenue un sous-genre qui rapporte...
(...)
Le projet de placer l’État d’Israël au centre de la vie juive repose sur la dévaluation et l’effacement des cultures et histoires de la diaspora, réduisant deux millénaires à une époque ponctuée de massacres et à un nationalisme rédempteur.
(...)
Les critiques des Juifs à l’encontre du sionisme – et la participation juive au mouvement de solidarité avec la Palestine plus généralement – sont significatives au-delà des liens des communautés juives mêmes, principalement aux États-Unis, et surtout en raison des privilèges donnés aux voix juives dans la discussion autour de la Palestine et d’Israël ici. Pourtant, comme l’écrivait Esther Kaplan [22], les Juifs aux États-Unis et ailleurs ont un rôle à jouer dans la lutte de libération de la Palestine et, dans certains cas, ils occupent une position stratégique, mais ils ne sont en aucun cas au centre de cette lutte. La tâche des Juifs – et de tous ceux qui sont engagés dans cette lutte – consiste à travailler en compagnie de nos amis et camarades palestiniens, arabes et autres pour partir de notre opposition commune au sionisme et aller vers des stratégies de résistance qui, à la fin, pourront libérer la Palestine.

Source: MonthlyReview
Photo: The silent majority no more

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