09 novembre 2023

« Anti-israélien » ?

BILLET DE BLOG 7 NOVEMBRE 2023

https://blogs.mediapart.fr/thomasvescovi 


Quiconque essaie, depuis un mois, de replacer les crimes du Hamas commis en Israël le 7 octobre dans la temporalité de la guerre coloniale entre Israël et les Palestiniens se voit accusé d’être « anti-israélien ». Je crois précisément que c’est le contraire.

Thomas Vescovi

C ce soir - France 5 - 13 septembre 2023
 Historien, chercheur indépendant, spécialiste d'Israël et des Territoires palestiniens occupés, et enseignant d'histoire-géographie dans le secondaire.

L’image est saisissante : des civils palestiniens, drapeaux blancs levés, franchissent les barrages de l'armée israélienne dans la bande de Gaza, emportant avec eux quelques affaires. Elle rappelle ces photographies prises en 1948 lors de l'exil forcé de près de 800 000 Palestiniens. L'histoire s'écrit sous nos yeux dans un drame humanitaire sans précédent, en toute impunité.

À l’heure où ces lignes sont écrites, le bilan humain des bombardements israéliens sur la bande de Gaza avoisine les 10 000 victimes, dont une large majorité de femmes et d’enfants, mais aussi 35 journalistes. Au moins 2 000 personnes sont encore portées disparues sous les décombres. Deux cent écoles ont été touchées et 76 centres de soins. Le nombre de déplacés s’élève à 1,4 million, avec une aide humanitaire qui arrive au compte-goutte. Les médecins rapportent être contraints d'opérer sans anesthésie : césarienne, amputation... Bientôt, d'après les ONG, certains Palestiniens de Gaza pourraient mourir, non des attaques israéliennes, mais de faim et de soif.

Côté israélien, 1300 personnes ont été tuées le 7 octobre, dont 348 membres des forces de sécurité, soit une large majorité de civils, essentiellement Israéliens, mais aussi des touristes et des travailleurs étrangers. Pour l’heure, il est établi que 241 personnes sont détenues en otage dans la bande de Gaza. « Renversement de table », « changer la donne », « répondre à l’oppression » : tous les motifs utilisés pour tenter d’expliquer l’opération du Hamas se confrontent aux images et aux récits qui illustrent les actes innommables perpétrés pendant cette journée. Dans les heures qui ont suivi, les appels à se tenir aux côtés d’Israël se sont multipliés. Pourtant, quiconque tendait l’oreille pouvait entrevoir le second drame qui allait se produire.

« Animaux humains », « barbares contre civilisés », « enfants des ténèbres », « il n’y a pas de civils innocents », « nous cherchons à causer des dégâts, pas la précision »… Ces termes qui s'apparentent à des appels génocidaires, employés par des dirigeants israéliens, démontrent à quel point l’ensemble des Palestiniens sont tenus responsables des crimes.

Caution aux crimes contre l’humanité

Après plus de huit années à étudier les gauches israéliennes, à rencontrer une part importante du milieu militant anticolonial israélien, je partage avec ce courant une conviction : le sort des Israéliens et des Palestiniens doit être pensé ensemble, d’égal à égal, et non l’un au détriment de l’autre.

Alon-Lee Green, co-directeur du mouvement arabo-juif israélien Standing Together, affirmait il y a plusieurs mois : « Savez-vous combien de fois ils ont déjà « éliminé » les chefs du Jihad islamique ou du Hamas ? Combien de fois ont-ils piétiné, bombardé, écrasé et tué à Gaza ? Savez-vous combien de personnes, femmes et enfants, ont été tuées par nos bombardements au cours de la dernière décennie ? Et pourtant, après toutes ces rondes interminables, les Palestiniens continuent de vouloir vivre en liberté et sans occupation ni blocus. Et ça ne changera pas. »

Et cela n’est toujours pas prêt de changer, puisqu’à imaginer que le Hamas soit éradiqué : qui peut croire que les survivants de la catastrophe humanitaire en cours dans la bande de Gaza ne montreront plus aucun sentiment d’hostilité à l’égard d’Israël ? Qui peut croire que certains Palestiniens qui assistent, impuissants, au massacre de leur peuple, ne seront pas séduits, demain, par des discours encore plus radicaux et extrémistes que ceux du Hamas ?

Cessons de tergiverser. Affirmer qu’il n’y a pas d’autres solutions face au Hamas que ces bombardements meurtriers, que la seule disparition du Hamas est un préalable à la paix, sont autant de mensonges éhontés qui ne cherchent qu’à offrir une caution aux crimes contre l’humanité dans la bande de Gaza.

L’État d’Israël n’a pas attendu le Hamas, créé en 1987, pour coloniser, occuper ou expulser, et refuser d’appliquer les résolutions onusiennes. Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU, a ainsi rappelé que si « rien ne peut justifier de tuer, blesser et enlever délibérément des civils, ni les tirs de roquettes sur des cibles civiles », on ne pouvait pas faire comme si cette attaque s’était produite « en dehors de tout contexte ».

Droit d’Israël à se défendre ?

Le droit international reconnait à l’État d’Israël le droit et le devoir de protéger ses citoyens, et de répondre à une attaque subie contre ses populations civiles. Mais aucunement au dépend d’autres civils. Les bombardements massifs sur la bande de Gaza, déjà soumis à un blocus depuis dix-sept ans, l’occupation, la colonisation et le régime d’apartheid, contreviennent complètement au « droit d’Israël à se défendre ». C’est même tout l’inverse : ces politiques mettent en péril la vie de civils, dont les Israéliens eux-mêmes, comme le 7 octobre l’a atrocement illustré.

Voilà pourquoi il fallait, dès le départ, être clair : tout appel à se tenir aux côtés d'Israël et des Israéliens, sans considération aucune pour le sort des Palestiniens, c'est tolérer et préparer les prochains crimes. La protection des civils, le droit à la sécurité et à la justice, ne peuvent être à géométrie variable.

Si j’ai été sidéré de voir le refus chez certains d’user d’un minimum d’humanisme pour entendre la souffrance des Israéliens le 7 octobre, je prends acte de celles et ceux qui ne souhaitent parler QUE de la souffrance des Israéliens, s’aveuglant sur toute la déshumanisation qui permet l’accomplissement d’acte les plus contraires, d’un côté aux principes du droit humanitaire, de l'autre à la légitime résistance des peuples.

Les marchands de sang à l’action

Le poète israélien Yitzhak Laor qualifiait de « marchands de sang » celles et ceux qui, à peine un attentat se produit, s’empressent de l’instrumentaliser à des fins politiques ou guerriers. C’est l’expression qui m’est venue à l’esprit en lisant ces appels à soutenir Israël, « démocratie » à laquelle tant d’Occidentaux devraient s’identifier car prise pour cible par des « djihadistes », ou un « terrorisme islamiste » semblable à celui qui a frappé la France en 2015. Certains ont même été plus loin dans la manipulation intellectuelle, dressant un parallèle avec l’assassinat à Arras de l’enseignant Dominique Bernard, commis le 13 octobre par un terroriste islamiste.

En quelques heures, c’est comme si tous les rapports accusant Israël d’apartheid ne tenaient plus. Comme si la colonialité qui structure les relations entre Israéliens et Palestiniens avait disparu. Comme si les rapports de force complètement asymétriques, d’un coup, n’avaient plus lieu d’être mentionnés.

Or, c’est précisément sur ce terreau de près de 75 ans d’injustice, de non-respect du droit international, d’expulsion, de spoliation, de destruction, d’humiliation quotidienne, de meurtres impunis, de colère, de rage et de haine, que le Hamas a pu germer. Au point de devenir un membre à part entière du mouvement national palestinien, de remporter des élections, puis d’imposer son autoritarisme dans la bande de Gaza. Du moins dans la limite de la souveraineté que les autorités israéliennes acceptent de laisser.

Des droits partagés

Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir multiplié les alertes. Dans tous les débats publics et les médias, nous étions quelques-uns à le marteler : « la situation sur le terrain devient intenable, des groupes armés se forment dans un désespoir et une radicalité jamais vus par le passé ».

À la veille du 7 octobre, 234 Palestiniens avaient été tués depuis le 1er janvier 2023 par l’armée israélienne ou des colons, dont 118 civils. Les ONG dénombraient 320 attaques de colons sur des civils palestiniens. Le gouvernement israélien d’extrême droite soutenait la construction d’un nombre sans précédent de nouvelles colonies sur des terres palestiniennes, et les provocations contre l’esplanade des mosquées à Jérusalem se multipliaient. À Gaza, à la veille du 7 octobre, la situation humanitaire était déjà inquiétante puisqu’à cause du blocus israélien : 80 % des quelques 2,3 millions d’habitants vivaient de l’aide humanitaire, 60 % souffraient d’insécurité alimentaire. Tout cela dans le plus grand silence de la communauté internationale.

Un silence qui se poursuit. Alors que l’attention internationale est portée toute entière sur la bande de Gaza, les exactions en Cisjordanie de la part des colons, appuyés par l’armée israélienne, se multiplient. Dans les collines du sud d’Hébron ou dans la vallée du Jourdain, des dizaines de familles palestiniennes ont été contraintes de fuir leurs maisons face à la violence des colons. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses images circulent de Palestiniens humiliés et violentés. Certains soldats en ont même fait un jeu sur TikTok. En un mois, au moins un millier de Palestiniens ont été arrêtés, près de 130 ont été tués.

Tous ces évènements, de Gaza à la Cisjordanie, forment un tout, celui du colonialisme qui piège Israéliens et Palestiniens dans des positions qui menacent leur sécurité. Les premiers sont prêts à tout pour maintenir leurs privilèges en sécurité, les seconds n’ont plus rien à perdre pour accéder à une vie digne et libre.

Dès lors, celles et ceux qui se présentent comme des « amis d’Israël », et qui accusent toutes les voix critiques d’Israël d’antisémitisme, balaient d’un revers de main les rapports d’ONG dénonçant la politique israélienne, ou invitent à regarder ailleurs lorsqu’il est question de poser des sanctions à Israël, agissent précisément contre la sécurité des Israéliens, puisqu’ils tolèrent de garantir à leurs dirigeants une totale impunité. Ce sont certains d’entre eux par exemple qui, lorsqu’en mars dernier nous publiions une tribune dans Le Monde pour rappeler combien le concept de démocratie en Israël variait en fonction de son appartenance ethnique et de son lieu de vie, demandaient un droit de réponse pour affirmer que nous mélangions tout.

Voilà précisément pourquoi l’accusation d’« anti-israélien » à mon encontre, comme envers toutes celles et ceux qui plaident en faveur de la justice pour les Palestiniens, ne tient pas : Israéliens et Palestiniens doivent être reconnus dans leur humanité, d’égal à égal, partageant le même droit à la paix et à la sécurité. Jamais l'un au dépend de l'autre. L’urgence immédiate est d’appeler et soutenir toutes les initiatives pour un cessez-le feu ET le retour des otages civils israéliens auprès de leurs proches. Soyons clairs, toutes celles et ceux qui tergiversent sur ces principes simples continuent de penser que certaines vies valent moins que d’autres, et qu'entre la mer Méditerranée et le fleuve Jourdain, les droits de certains sont plus légitimes que d'autres.

https://blogs.mediapart.fr/thomasvescovi/blog/071123/anti-israelien

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Voir aussi

•  Je vous en veux

Extraits

 
Je vous en veux de ne pas voir la haine qui est en train de monter, de vous taire face à ce qui se passe, d’être indifférents.

Directeurs d’universités ou de lycées, professeurs, je vous en veux.
Je vous en veux de ne pas aborder l’antisémitisme, de ne pas aborder l’islamophobie, de fermer les yeux sur le racisme, en croyant que l’ignorer c’est l’empêcher d’exister.

Étudiants, je vous en veux.
Je vous en veux de me haïr pour une nationalité et une religion que je n’ai pas choisies. De vous permettre de me détruire parce qu’une bonne cause vous sert de prétexte ; parce que vous avez l’impression qu’en me brisant, vous brisez un gouvernement. La haine des Juifs et des civils israéliens n’est pas du militantisme. Faire preuve d’humanité n’est pas contraire à vos convictions. Vous condamnez le racisme, mais vous me discriminez. Vous militez pour les minorités, mais vous considérez que la mienne est trop privilégiée.

Je vous en veux d’être silencieux, de ne plus me regarder, de tourner la tête à mon passage, quand hier encore, vous m’invitiez chez vous.

Lisa Hazan,
Une étudiante juive parmi tant d’autres.

Sur le Blog de Mediapart - 6 novembre 2023
https://blogs.mediapart.fr/lisahazan/blog/061123/je-vous-en-veux
 


• Israël-Palestine : « De quelle démocratie parlons-nous ? » 

Tribune, Collectif

Un collectif d’universitaires et de chercheurs, parmi lesquels Judith Butler, Shlomo Sand et Thomas Vescovi, ainsi que le médecin Rony Brauman, rappellent, dans une tribune au « Monde », que colons, militaires et politiques israéliens bénéficient d’une impunité totale, et que les Palestiniens vivent sans protection internationale

Publié le 28 mars 2023, Le Monde

https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/28/israel-palestine-de-quelle-democratie-parlons-nous_6167310_3232.html

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• Israël : « Il est urgent pour les Etats européens de faire respecter les droits humains et d’agir contre les démolitions illégales en Cisjordanie »

 Tribune, Collectif

Dans les territoires palestiniens, le financement européen de l’aide humanitaire doit s’accompagner de la fin de l’impunité du gouvernement israélien, réclament dans une tribune au « Monde », des responsables d’ONG, parmi lesquels Médecins du monde et la Ligue des droits de l’homme.

Publié le 22 mars 2023 , Le Monde

Dimanche 26 février, la localité palestinienne d’Huwara était attaquée par des dizaines de colons israéliens, après le meurtre de deux colons. La récente augmentation de la violence liée à l’occupation et à la colonisation, qui fait suite à la composition d’un gouvernement d’extrême droite en Israël avec pour objectif public l’annexion de la Cisjordanie, n’est pas une surprise, mais le résultat de décennies d’inaction de la communauté internationale et de la montée de l’ultraconservatisme dans le monde.

violence institutionnalisée

En tant qu’organisations humanitaires et de défense des droits de l’homme, nous craignons une augmentation dramatique des besoins humanitaires en 2023. L’accord de coalition du gouvernement de Benyamin Nétanyahou montre que « le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur toutes les régions de la terre d’Israël. Le gouvernement encouragera et développera la colonisation dans toutes les parties de la “terre d’Israël” en Galilée, dans le Néguev, dans le Golan, en Judée et en Samarie ». Le Golan est toujours considéré, par la communauté internationale, comme une région syrienne occupée et les « Judée et Samarie » font référence à la Cisjordanie.

https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/22/israel-il-est-urgent-pour-les-etats-europeens-de-faire-respecter-les-droits-humains-et-d-agir-contre-les-demolitions-illegales-en-cisjordanie_6166551_3232.html


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En Israël, la contestation de la réforme de la justice rejoint la critique des violences commises par des colons à Huwara (village palestinien en Cisjordanie)

Alors qu’une nouvelle manifestation avait lieu contre les projets de loi du gouvernement, le ministre chargé des colonies au ministère de la défense, Bezalel Smotrich, a affirmé qu’« Huwara doit être rasé ».
Ce discours et cette journée marquent un tournant. Pour la première fois, le lien est fait entre la réforme de la justice et la violence exercée par l’armée et les colons dans les territoires.

https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/02/en-israel-la-contestation-de-la-reforme-de-la-justice-rejoint-la-critique-des-violences-commises-par-des-colons-a-huwara_6163882_3210.html

05 novembre 2023

Les implantations israéliennes en Cisjordanie

 Voici les liens vers les trois articles sur "Les implantations israéliennes en Cisjordanie, histoire d'une colonisation :

La question des colonies israéliennes en Territoire palestinien est un sujet d’actualité. Pendant l’été 2013, le gouvernement Netanyahou a annoncé la création d’un millier de nouveaux logements à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. 
Cependant, au-delà de l’actualité brûlante et des décisions conjoncturelles sur les colonies, il convient de se placer dans une problématique de long terme et de comprendre les enjeux structurels. Le premier volet de ce dossier sur les colonies portera sur les préalables nécessaires pour comprendre la colonisation, c’est-à-dire la présence juive en Palestine avant les premiers programmes d’implantation.
 

 - 1 : Les implantations israéliennes en Cisjordanie (1) : histoire de la présence juive en Palestine avant 1967
 

"Dans la Genèse (XII), Abraham, dans sa marche vers le pays de Canaan (territoire compris entre la Méditerranée et le Jourdain) s’arrête à Sichem (Naplouse). Yahvé lui concède les territoires alentour pour y implanter son peuple. A sa mort, Abraham est enseveli en compagnie de sa femme Sarah à Hébron. Sur la carte 1, on peut voir les grands lieux bibliques situés en Cisjordanie. Le premier d’entre eux, Jérusalem, est aux portes de la « Judée-Samarie », terme employé par de nombreux Israéliens pour désigner la Cisjordanie. (...)"
 

- 2 : Les implantations israéliennes en Cisjordanie (2) : histoire d’une colonisation depuis 1967

 Pendant l’été 2013, le gouvernement Netanyahou a annoncé la création d’un millier de nouveaux logements à Jérusalem Est et en Cisjordanie. 
Cependant, au-delà des décisions conjoncturelles sur les colonies, il convient de se placer dans une problématique de long terme et de comprendre les enjeux structurels. Après avoir étudié la présence juive en Palestine jusqu’en 1967 dans une première partie, nous nous pencherons, dans ce second volet, sur la période qui suit la Guerre des Six-Jours, marquée par de grands programmes de colonisation des territoires occupés par Israël, et notamment la Cisjordanie.
 

- 3 : Les colonies israéliennes en Cisjordanie (3) : approche multiscalaire des stratégies territoriales 
 

A noter que cet article date de 2020. Il faudrait donc y ajouter tout ce qui s'est passé depuis lors en Cisjordanie.


Après avoir adopté une approche historique pour comprendre les fondements de la présence israélienne en Cisjordanie jusqu’au début des années 2000, nous nous arrêterons, dans ce troisième volet, sur la géographie actuelle des colonies. 
L’utilisation de différentes échelles est essentielle pour analyser les stratégies territoriales mises en place par Israël et ses colons et pour comprendre la situation des Palestiniens dans les Territoires occupés (parties I, II et III). 
La colonisation est également analysée du point de vue israélien (partie IV).

Je reprends plus loin  cette partie IV.  


 

 Le rôle joué par les colonies  

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la stratégie territoriale d’Israël en Cisjordanie

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un territoire palestinien fragmenté et contrôlé

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IV – La colonisation vue du point de vue israélien

Cet article s’est placé en grande partie du point de vue palestinien. Les études réalisées sur ce thème portent en effet majoritairement sur les conséquences de l’occupation israélienne sur la vie des populations arabes. Toutefois, voici le point de vue israélien.

Il faut d’abord préciser que nous avons seulement apporté ici une interprétation du résultat de la colonisation. En effet, il ne faudrait pas voir l’inscription spatiale des colonies comme le fruit d’une logique implacable, d’un plan millimétré, préparé de longue date par Israël. L’État israélien a certes joué un rôle dans la localisation de certaines d’entre-elles, mais de nombreuses autres sont le fruit d’initiatives individuelles ou guidées par des groupes sionistes, comme le Goush Emounim (voir le second volet du dossier). L’État facilite aussi l’implantation des colons en établissant des avantages fiscaux pour les nouveaux arrivants ou en décidant des plans de construction de logements dans les colonies. Mais des organisations, étrangères ou israéliennes, comme Israel Land Fund, ont été créées dans le but de récolter des fonds pour acquérir des terres pour la colonisation.

La diversité des colons et de leurs motivations

Stéphanie Valdmann (2001) apporte une contribution originale en étudiant la diversité des colonies israéliennes et les motivations des colons à s’installer en Cisjordanie. Malgré leur apparente ressemblance (localisation, morphologie, organisation spatiale) que nous traiterons en fin d’article, Stéphanie Valdmann insiste sur les différences des colons. Elle note que « Dans les représentations internationales, l’image du colon est souvent schématisée. Dans le contexte de violence de la seconde Intifada, ils sont perçus comme des fanatiques irresponsables ». Il faut distinguer les Juifs pratiquants, traditionalistes, orthodoxes, et ultra-orthodoxes, qui ont des motivations différentes à venir s’installer dans les colonies, et par conséquent, qui s’installent dans des colonies différentes. Par exemple, à Shilo, en Samarie, l’auteur explique que les colons font le choix de s’installer ici, et non à Tel-Aviv, car leur objectif est de « créer ensemble un meilleur futur, en intégrant chaque individu ». Elle ajoute toutefois que le faible coût des logements est un élément incitatif important. Au nord de la Judée, Beitar Ilit est une grande colonie ultra-orthodoxe, dont la devise est « Une ville de la Torah dans les montagnes de Judée ». Les colons qui la rejoignent cherchent un lieu spirituel où ils pourront pratiquer strictement leur religion au quotidien. A Ariel, au contraire, les populations orthodoxes et laïques se côtoient. Dans la vallée du Jourdain, les colonies répondent plus à des motivations économiques (exploitations agricoles bénéficiant de l’eau du Jourdain).

L’insécurité des colons israéliens

En prenant l’exemple de Shilo, Stéphanie Valdmann montre que les colons se sentent baignés dans un environnement hostile, surtout depuis la deuxième Intifada. Ils peuvent être escortés par l’armée dans leurs déplacements, mais sont obligés de suivre des consignes de sécurité très strictes. Toutefois, les colons de Shilo arguent que l’insécurité est la même en Cisjordanie qu’en Israël, puisque les bombes et les attentats peuvent frapper aussi bien leur colonie que l’État d’Israël. Par ailleurs, selon les colons de Shilo interrogés, les Palestiniens souhaitent voir les Juifs partir de Cisjordanie, mais aussi de l’ensemble du territoire Israélien. Par conséquent, si les Palestiniens obtiennent le départ des Israéliens de la Cisjordanie, ils s’attaqueront ensuite au reste du pays. Alors, pourquoi quitter la Cisjordanie si c’est pour être chassé d’Israël par la suite ?

Les colonies, une question qui fait débat en Israël

La question des colonies fait débat en Israël. Les gouvernements au pouvoir continuent de favoriser la colonisation sous la pression des partis et des lobbys sionistes religieux. Mais il ne faudrait pas essentialiser les Israéliens en les considérant comme tous favorables à la colonisation. Selon L’Express(22/01/2013), à l’été 2011, des Israéliens sont descendus dans les rues pour protester contre le fardeau financier que représente les colonies, fardeau accusé de renchérir le coût de la vie en Israël. En effet, les colonies coûtent cher, de par les dépenses de sécurité engagées, et de par les aides financières fournies aux colons. Hagit Ofran, directrice de l’ONG « La Paix maintenant » créée en 1978, note qu’« Israël a déclaré à son partenaire américain transférer environ 250 millions de dollars (190 millions d’euros) par an aux colonies. Mais ce chiffre paraît sous-estimé ». Par ailleurs, les critiques ne se font pas seulement sur le coût économique, mais sur la question des Droits de l’Homme. Des associations israéliennes ont été créées pour la paix entre les deux peuples. L’ONG « La Paix maintenant », se bat pour la recherche d’une solution pacifique au conflit et pour la coexistence de deux Etats. L’association « B’Tselem » (Centre d’information pour les Droits de l’Homme dans les territoires occupés), a été créée en 1989 par des chercheurs, des journalistes et des parlementaires de la Knesset, pour fournir une documentation sur la violation des Droits de l’Homme dans les territoires occupés.

 

26 octobre 2023

Le gâchis des occasions manquées (2. Editorial)

Je regarde ”l’Amérique face à l’Holocauste”, sur Arte ce mardi 17 octobre 2023.
Aveuglement de la population. Roosevelt, isolé, n’arrive pas à convaincre son pays d’accueillir les juifs qui fuient l’Allemagne nazie et l’Autriche tout juste annexée.
Aucun autre pays du monde n’accepte d’accueillir des immigrés, chacun ayant des arguments pour fermer ses frontières.
(Tiens, on est en 1937 : c’est juste comme maintenant à l’égard des réfugiés de toute origine ! Presque 85 ans plus tard…)

Devant le sort des Juifs qui ne savent où aller face à une Amérique qui refuse de voir la réalité et soutient même Hilter, grenaillée par la propagande nazie et heureuse de vendre ses produits et ses armes à l’Allemagne, je suis ébahi, renvoyé à l’actualité toute récente et je souffre de replonger dans cette vieille histoire que depuis une éternité, être Juif, porter un prénom ou un nom juif, vous rend infréquentable, voire pire, de la part du monde entier. Alors oui, sans doute que l’existence d’un pays refuge, Israël ou un autre, était indispensable, particulièrement dans les années 39-45.

Mais depuis lors, que d’occasions manquées, de part et d’autre, que d’erreurs de jugement, que de maladresses et de refus de collaborer de part et d’autre.

A l’égard des Palestiniens, le refus de reconnaître la douleur de ce peuple qui a perdu son pays, ses villages, ses maisons, juste déjà simplement de manifester de l’empathie, a manqué chez la plupart des Israéliens et des Européens.

On aurait pu simplement, au minimum, reconnaître que les Israéliens étaient établi sur la terre d’un autre peuple, qui a perdu son pays, ses villages, ses maisons, ses champs, ses oliviers, ses sources, et que cela méritait d’être reconnu, avec compassion.

C’eût été le minimum.
Mais plus aurait bien entendu été nécessaire : partager.
Partager la terre, partager la vie, accepter deux peuples sur une même terre, combien d’autres pays l’ont fait, dans la douleur ou dans la générosité.

Ou alors, accepter un Etat palestinien à côté d’Israël. Si un seul Etat multiculturel - et surtout multi-religieux - n’était pas possible, au moins accepter deux Etats voisins, vivant des échanges humains, culturels et commerciaux dans l’harmonie.

L’imbécilité des religieux de chaque bord a empêché cela.

Le délire des extrémistes nationalistes et religieux a entraîné les uns et les autres dans une spirale de haine, de violence, de massacre, de rancoeur que me faisait dire, il y a des dizaines d’années déjà, que la paix dans ce pays demanderait au moins 500 ans pour advenir.

Je n’ai pas changé d’avis. Je le crois toujours. Il m’est impossible d’imaginer que la paix ne puisse s’établir un jour. L’idée d’une guerre perpétuelle, éternelle, m’est insupportable. Oui, certes, la paix viendra. Mais il faudra sans doute 500 ans pour qu’on y arrive, les uns et les autres.
500 ans ou plus encore…

Comment ne pas entendre alors avec bonheur, ce dimanche soir, Ofer Bronchtein, Président du forum international de la Paix, dans l’émission "En société", présenté par Karim Rissouli, ce dimanche 22/10/2023 ? (1) :

"L’idéologie du Hamas ne se tue pas avec des balles, mais avec des écoles"

On me dira que je cible trop Israël et pas assez les Palestiniens. Peut-être avec raison. 

Mais le faut aussi comprendre ma déception.

Avant 1967, j’aimais bien l’esprit des kibboutz, j’avais des disques avec les musiques et les danses israéliennes (que j’ai dansées). Comme la plupart des gens de gauche des années 60, j’avais un à-priori pour le peuple juif victime du nazisme et lui aussi, exclus, dépossédé, et j’avais une sympathie naturelle pour l’existence d’Israël.

 Puis, en 1967 (j’avais 29 ans), j’étais en Algérie, travaillant au ”Secours National Algérien” auprès des ”Yaouleds Chaab” (2) les "Enfants des rues" devenus ”Enfants du Peuple”.
Arrive la guerre des 6 jours (en juin 1967). Israël attaque l’Egypte, la Jordanie et la Syrie.
J’ai vécu, solidairement avec la population algérienne, très intensément, la peur d’une attaque d’Israël contre l’Algérie, terreur fantasmée partagée par beaucoup de peuples arabes.

Pour moi, comme pour beaucoup d’autres, ce fut un grand retournement. Ma solidarité avec le peuple israélien, opprimé, est devenue une solidarité avec le peuple palestinien, dépossédé.

Une solidarité à toute épreuve, sans trop d’hostilité à l’égard des juifs d’Israël, tandis que je gardais pleine et entière ma sympathie et mon amitié pour mes amis juifs d’ici.
Puis, trente ans plus tard, je suis parti avec Marco, un ami juif, dans un voyage de solidarité avec le peuple palestinien, en Palestine et à Jérusalem.

M’a beaucoup touché et interpellé le fait que ce simple voyage a été perçu et apprécié par les Palestiniens comme une preuve de soutien. De leur existence, de leur cause, de leur culture, de leurs luttes.
Ce que j’ai vu m’a laissé des traces indélébiles, que je n’oublierai jamais : les colonies, les camps de réfugiés, le traitement des palestiniens par les colons, l’eau et les terres accaparées, les oliviers arrachés, le mur de séparation, les check-points, les appropriations des toits des maisons palestiniennes par les colons à Jérusalem…J’ai rendu compte de tout cela du mieux que j’ai pu dans des articles de mon bulletin de L’Arcenciel, devenu un site et puis ce blog larcenciel-Palestine.
Dans l’Edito du numéro spécial ”Palestine”de Larcenciel (https://larcenciel.be/9), j’écrivais :

”Si la paix n’est pas signée, nous a dit quelqu’un, d’ici quelques années tout va exploser.”

Or la paix n’arrivera ni du chef des Palestiniens, totalement réduits à l’impuissance, ni du chef d’un Israël tout puissant et assuré d’une totale impunité et du soutien indéfectible des États Unis. Seule une intervention internationale vigoureuse pourra faire avancer les choses. Mais qui le veut vraiment ?
Le peuple Palestinien se sent véritablement abandonné de tous.”
(Cétait en 2006)


En définitive, et pour boucler la boucle, j’en reviens au gâchis et aux occasions manquées.

On pourrait dire que la question palestinienne se joue à quatre : les Juifs ordinaires, croyants ou non, les Juifs religieux orthodoxes, les Arabes ordinaires, croyants ou non, et les Arabes musulmans islamistes, nébuleuse dont l’éventail est fort vaste, et intriqué.

Si j’ai tendance à mettre sur le même pied les extrémistes religieux juifs et musulmans, je n’oublie pas l’influence néfaste et perfide des extrémistes chrétiens, particulièrement évangélistes, qui rêvent d’un grand Israël débarrassé des arabes afin de faciliter le retour de Christ à Jérusalem, et soutiennent dès lors les religieux juifs qui partagent aussi le même mythe du retour au Grand Israël. (3)

Sans compter tous les autres acteurs de la communauté internationale, essentiellement occidentale, qui a créé le problème judéo-palestinien, et l’a entretenu jusqu’à présent. Et dont la responsabilité est immense. 

Les différentes lectures que je vous présente ici et dans le dossier de larceciel "Le gâchis des occasions manquées", éclairent bien les responsabilités internationales, en grande partie occidentales, dans le conflit israélo-palestinien.

Michel Simonis,
Octobre 2023

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(1) https://www.france.tv/france-5/en-societe/5320272-emission-speciale-israel-palestine-la-paix-impossible.html

Ofer Bronchtein est président du Forum international pour la paix et la réconciliation au Moyen-Orient, ONG qui promeut le dialogue entre Palestiniens et Israéliens. L'auteur est un ancien collaborateur d'Yitzhak Rabin, premier ministre travailliste de l'État d'Israël, cosignataire des accords d'Oslo avec Yasser Arafat en 1993 et assassiné en 1995. 

"Les événements récents constituent un tournant majeur dans l'histoire d'Israël. Pour la première fois de son existence, l'État hébreu est attaqué en plein cœur, avec une barbarie inexplicable, inexcusable. S'il est évident que nous allons faire face à de la violence extrême de part et d'autre, la tristesse, l'effroi et la colère devront progressivement laisser place au dialogue et à la réconciliation. Ce choix ne sera pas facile, mais il n'existe pas d'alternative militaire au conflit israélo-palestinien."

"Ce conflit ne sera jamais résolu par la violence. mais par le respect mutuel, l'humilité la générosité et pourquoi pas, un jour le pardon."

(2) https://souffleinedit.com/nouvelles/zoubida-belkacem/

(3)  Les chrétiens évangéliques, meilleurs alliés d’Israël
Le rêve d'un Etat englobant Israël, la Cisjordanie et la bande de Gaza, «Eretz Israël Ha'Shlema», littéralement, la terre d'Israël complète, mythe oublié entre 1948 et 1967, a resurgi au lendemain de la guerre des Six Jours, dans l'ivresse d'une victoire éclair sur les armées arabes. Le Grand Israël désigne alors tous les territoires conquis durant la guerre. Pour de nombreux Israéliens, il ne saurait être question de se retirer de ces territoires «libérés».

Le concept d'Eretz Israël remonte à la Bible, et ses frontières ont fait l'objet d'interprétations multiples. Mais l'idée que ce territoire imaginaire revienne, dans son intégralité, au peuple juif, dans le présent, au nom de l'Histoire, de Dieu ou d'impératifs de sécurité, est tout à fait moderne. (https://www.liberation.fr/tribune/2005/01/10/le-grand-israel-fin-d-un-mythe_505597/)

”Convaincus que l'établissement d'un Etat juif en Palestine est l'accomplissement de la prophétie biblique, les 40 millions de chrétiens évangéliques, essentiellement américains, qui constituent la base électorale la plus solide du Parti républicain, sont pour la plupart de fervents sionistes. Ils  voient en nous le « peuple élu » et attribuent un rôle décisif aux Juifs et à l´Etat d´Israël dans le projet divin pour la fin des temps. Leur finalité hautement stratégique est tissée autour du Grand Israël dont l’objectif principal est d’amener les Juifs du monde entier à revenir sur la terre de leurs ancêtres... et de se convertir. Ce qui annoncerait, selon leurs Ecritures, la nouvelle venue de leur messie. 
C’est pourquoi ils soutiennent financièrement et politiquement l’Etat hébreu et se présentent comme les meilleurs amis et soutien du peuple juif.” (Noémie Grynberg, ”Les évangélistes et Israël : un ‘’amour’’ à double tranchant”)

 

 


23 octobre 2023

Conflit entre Israël et le Hamas : «Après la guerre, la négociation va repartir de zéro»

" Lorsque l'ancien ambassadeur Alon Liel, ancien directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères, décroche le téléphone, il est encore bouleversé. Il revient juste des funérailles d'un de ses anciens étudiants. Bengi Trakniski avait 33 ans, il a été tué dans le kibboutz Be'eri. La cérémonie a été douloureuse. « C'est un crève-cœur. La situation est horrible. Nous pleurons tous. » Et pourtant, ce partisan infatigable de la paix enchaîne en expliquant qu'il y a beaucoup de raisons d'espérer: « Cette guerre peut être l'occasion de changer le cours des choses et de mettre fin à une longue période d'indifférence au sort des Palestiniens», affirme-t-il dans un entretien à « l'Obs ». Selon lui, le choc du 7 octobre n'a pas éloigné la perspective d'une solution de paix autour de deux Etats vivant côte à côte, au contraire : elle redevient envisageable." (Le Nouvel Obs, octobre 2023

   
Selon Alon Liel, ancien haut diplomate israélien engagé pour la paix, l’acte barbare du Hamas a rebattu entièrement les cartes, affaiblissant Israël et remettant la question palestinienne au sommet des priorités internationales.


Propos recueillis par Pascal Riché - Publié le 19 octobre 2023 · Mis à jour le 20 octobre 2023

Pour Alon Liel, ancien directeur général du ministère des Affaires étrangères et ancien ambassadeur en Afrique du Sud, la guerre en cours va changer du tout au tout la donne en Israël. La période où les Palestiniens étaient ignorés par Israël et par la communauté internationale est terminée. A condition que le Hamas soit terrassé, assure-t-il, les négociations pour une solution à deux Etats reprendront après la guerre en cours.


Les responsables des grands pays occidentaux insistent de nouveau sur la nécessité d’un processus de paix pour aboutir à deux Etats. Est-ce encore réaliste ?


Alon Liel : Je pense que la « solution à deux Etats » est moins difficile à atteindre aujourd’hui qu’avant le 7 octobre. Tout se passait comme si on avait complètement renoncé à cet objectif. Pendant dix ans, il n’y a pas eu une seule négociation. Rien.

 (la suite sur le site du Nouvel Obs)

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Voir aussi

En société - Émission spéciale du 22 octobre 2023 : Israël-Palestine, la paix impossible ?

En société, présenté par Karim Rissouli, est le nouveau rendez-vous du dimanche soir

Invité : Ofer Bronchtein, président du Forum international de la paix

Document : Gaza, la catastrophe humanitaire
La Story : Hamas, la stratégie du chaos
Reportage : Israël, l'armée du peuple
Invitées : Aïcha Béchir, professeure de philosophie et Hanna Assouline, fondatrice du mouvement "Les guerrières de la paix"

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21 octobre 2023

L'avis d'Elena Aoun sur les évènements qui se passent actuellement en Israël et en Palestine ?

 "Certains Palestiniens ne connaissent que le contrôle d’Israël"

 Comment lisez-vous les évènements qui se passent actuellement en Israël et en Palestine ?    

L’avis d’Elena Aoun, professeure et chercheuse en relations internationales à l’UCLouvain. (1)

La Libre, 10 octobre 2023

Une façon de comprendre la situation actuelle est de remonter dans le temps et de s’appuyer sur le droit international. La création d’un foyer national juif au lendemain de la Première Guerre mondiale est déjà un acte colonial. Après la Seconde Guerre mondiale, le plan de partage est refusé par les Palestiniens qui ne comprennent pas pourquoi ils doivent faire de la place à des Juifs européens alors qu’ils n’ont eux-mêmes pas joué de rôle dans la Shoah. Un État israélien est créé, mais aucun État palestinien. Depuis, les Palestiniens sont dans un entre-deux : il y a ceux qui restent dans ce qui est aujourd’hui Israël, et ceux qui fuient dans des camps en Cisjordanie et à Gaza. En 1967, ces zones tombent sous le contrôle israélien, et depuis, toute la politique menée par Israël est en violation directe avec les conventions de Genève – des traités internationaux qui dictent les règles de conduite à adopter en cas de conflits armés. 

Aujourd’hui, on a des générations de Palestiniens qui ne connaissent rien d’autre que le contrôle violent par Israël, et qui voient malgré tout la communauté internationale en rester proche. Il y a un poids symbolique, psychologique, politique et économique énorme qui pèse sur leurs épaules, et qui finit par conduire à ces éruptions de violence. Personne ne s’attendait aux attaques du 7 octobre, mais la violence de la révolte, elle, était prévisible. Humainement, rien ne justifie une violence aussi débridée, mais scientifiquement, c’est une position normative et philosophique qui se comprend. Quand on travaille sur les conflits internationaux, on se rend compte que les “solutions” qui passent par un déséquilibre des puissances vont forcément nourrir la violence. Dans l’immense majorité des cas de colonisations, il a fallu recourir à une forme de conflit violent pour aller vers l’indépendance.

Que recommandez-vous pour aborder le sujet dans toute sa complexité et sans tomber dans une polarisation peu constructive, voire dangereuse ?

Ces dernières années, on observe une difficulté de plus en plus marquée à pouvoir parler du conflit israélo-palestinien en visibilisant la position et le quotidien des Palestiniens. Il faut pouvoir aller au-delà de la dichotomie “Palestine = terroriste” et “Israël = puissance vertueuse”. Oui, on peut parler d’actes terroristes de la part du Hamas aujourd’hui. Mais pour parvenir à apaiser les tensions et tenter de résoudre le conflit, il faut aller plus loin que ce constat et se poser les bonnes questions. À mon sens, il faut tenter de comprendre le caractère structurel de la situation pour poser un bon diagnostic sur cette violence palestinienne récurrente, qui ne fait que répondre à une multiplicité de formes de violences israéliennes.
Ce conflit est compliqué, et pour pouvoir l’appréhender au mieux, je conseille de se documenter. On peut commencer en relisant les conventions de Genève, par exemple. Il y a aussi les rapports d’ONG extrêmement sérieuses, comme Human Rights Watch. Il est également intéressant de se pencher sur le travail des ONG israéliennes qui documentent elles-mêmes les exactions israéliennes dans les territoires palestiniens. L’objectif est de se faire une idée relativement précise de la situation sur le terrain.
Il faut, quoi qu’il arrive, bien garder en tête les enjeux qui entourent ce conflit. Il se greffe sur une histoire extrêmement douloureuse, pour les Juifs évidemment, mais aussi pour les Européens, qui ont été partie prenante dans le drame de la Shoah, et dans tout ce qui a mené les sionistes européens à se dire qu’ils n’avaient pas d’avenir en Europe et qu’ils devaient trouver un foyer national ailleurs. Israël, c’est l’histoire européenne avant d’être l’histoire du Moyen-Orient.

https://www.lalibre.be/debats/ripostes/2023/10/10/conflit-israelo-palestinien-la-paix-sera-possible-le-jour-ou-il-y-aura-deux-gagnants-et-deux-perdants-HFRSJCLN5BCKLFIHNPTLV35AAY/

 (1) Elena Aoun a effectué un doctorat en Sciences politiques à Sciences-Po Paris et un post-doctorat à l’Institut d’études européennes des Universités de Montréal et McGill.
Elle a enseigné à l’Université Libre de Bruxelles et à l’Université de Namur avant de passer à l’Université Catholique de Louvain. 
Ses recherches portent sur la politique étrangère de l’Europe au Moyen-Orient, notamment sur le conflit israélo-palestinien, les différentes crises du Moyen-Orient et le maintien de la paix. 
Elle est aussi membre du Centre d’étude des crises et conflits internationaux (CECRI), du Réseau de recherche francophone sur les opérations de paix (Université de Montréal), de l’International Studies Association et collaboratrice au centre de Recherche et Enseignement en Politique internationale (REPI – ULB).  

A lire aussi sur larcenciel des extraits de son article L’Union Européenne et le conflit israélo-palestinien, Elena Aoun et Mélodie Le Hay
, Les clés du Moyen-Orient - Publié le 13/12/2013 • modifié le 01/06/2016.

20 octobre 2023

OCTOBRE 2023 : Le gâchis des occasions manquées (1)

Cela fait deux ans que je n'ai plus rien publié dans ce blog.

L'actualité de ce mois d'octobre 2023 rend d'autant plus nécessaire de faire écho à ce qui se passe, avec quelques prémisses. 

Comment ne pas ressasser les mille commentaires qui nous assaillent de partout dans les médias, qui répètent à l'envi les mêmes considérations, sans véritable mise en perspective, sans approfondir avec les événements historiques qui ont précédés ?

Ne pas dissocier la tête et le ventre, disait Delphine Horvilleur. Mais on risque d'oublier qu'entre la tête et le ventre, entre la raison et les émotions, il y a le coeur, la compassion.

Dans l’Edito du numéro spécial ”Palestine”, en 2006, (https://larcenciel.be/9), j’écrivais :  

”Si la paix n’est pas signée, nous a dit quelqu’un, d’ici quelques années tout va exploser." (C'était en 2006, il y a 17 ans.)

Aujourd'hui, Avaaz nous interpelle ainsi : 

Gaza est une crèche entourée de barbelés. Une crèche sous les bombes.
La moitié des habitants de Gaza sont des enfants.
Le Hamas a perpétré des atrocités impensables. Mais les enfants de Gaza sont innocents. Nous avons la même responsabilité envers tous les enfants, de chaque côté des barbelés qui les séparent.
(Avaaz)

 Une spirale de haine, de violence, de massacre, de rancoeur me faisait dire, il y a des dizaines d’années déjà, que la paix dans ce pays demanderait au moins 500 ans pour advenir.

Je n’ai pas changé d’avis. Il m’est impossible d’imaginer que la paix ne puisse s’établir un jour. L’idée d’une guerre perpétuelle, éternelle, m’est insupportable. Oui, certes, la paix viendra. Mais il faudra sans doute 500 ans pour qu’on y arrive, les uns et les autres.
500 ans ou plus encore…

(à suivre... : voir mon EDITORIAL https://larcenciel-palestine.blogspot.com/2023/10/le-gachis-des-occasions-manquees.html

 






18 octobre 2023

Entretien avec Xavier Guignard sur l’opération du Hamas : « C’est avant tout sur la scène palestinienne que le groupe armé change la donne »


Par Ines Gil, Xavier Guignard


Publié le 10/10/2023 

https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Xavier-Guignard-sur-l-operation-du-Hamas-C-est-avant-tout-sur-la.html
 

L’attaque du Hamas lancée depuis Gaza le samedi 7 octobre a fait au moins 700 morts côté israélien, et les bombardements en représailles plus de 560 morts côté palestinien. Pour analyser les enjeux de cette opération, Xavier Guignard répond aux questions des Clés du Moyen-Orient. Spécialiste de la Palestine, il est chercheur au centre de recherche indépendant Noria Research.

Extraits

Le Hamas bouscule les choses sur au moins trois niveaux :

D’une part, sur la scène palestinienne. Avec cette opération, il se place en position de leader national sur le plan politique. Son discours, qui porte sur la question des prisonniers palestiniens, de Jérusalem et des violences en Cisjordanie lui permet de s’imposer comme un porte-drapeau de la cause palestinienne au-delà de la bande de Gaza. Il parvient à combler un vacuum, car en parallèle, l’Autorité palestinienne est totalement délégitimée. La réaction du président Abbas suite aux événements de ce week-end n’a d’ailleurs suscité aucun intérêt. Le Hamas impose aussi son leadership sur le plan militaire. Depuis un an et demi, la Cisjordanie, principalement à Naplouse et Jénine, était le théâtre de mobilisations de type guérilla, avec des actions armées de petits groupes dont on peinait à comprendre la composition et l’idéologie. En comparaison à ces actions de portée limitée, ce samedi, le Hamas a fait une démonstration de force hors normes. C’est donc avant tout sur la scène palestinienne que le groupe armé change la donne.
 

D’autre part, avec cette opération, le Hamas a bouleversé ses relations avec Israël.(…)

Enfin, le Hamas remet la question palestinienne au centre des enjeux régionaux, à un moment où les Palestiniens étaient considérés comme effacés et relayés au second plan. (...)

Le parallèle réalisé entre l’opération de ce week-end avec la guerre du Kippour (6 octobre 1973) est-il pertinent ?

Ce parallèle s’impose du fait de la date choisie par le Hamas. C’est le cinquantième anniversaire de la guerre du Kippour (guerre du Ramadan pour les Arabes). Même au-delà du symbole, cette opération peut être comparée avec la guerre de 1973 par la surprise qu’elle a créée au sein de l’état major israélien. (…) En revanche, sur d’autres aspects, cette opération se démarque de la situation en 1973. A l’époque, la question palestinienne est alors prise en charge par les pays arabes. Aujourd’hui, c’est au contraire un groupe palestinien qui mène la confrontation. Selon moi, cela change la nature même des rapports de force.
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VOIR Analyses de l’actualité - https://www.lesclesdumoyenorient.com/-Analyses-de-l-actualite-.html

Synthèse de la guerre entre le Hamas et l’Etat d’Israël – Période du 7 au 19 octobre 2023
https://www.lesclesdumoyenorient.com/Synthese-de-la-guerre-entre-le-Hamas-et-l-Etat-d-Israel-Periode-du-7-au-19.html
par Emile Bouvier, dans Analyses de l’actualité, Zones de guerre • 20/10/2023 • 6 min

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DESINFORMATION

Extrait :

Comme durant chaque conflit, la désinformation [7] et les campagnes de propagande sont allées bon train, notamment sur les réseaux sociaux, pour amplifier l’impact émotionnel et politique de ces événements. Le premier d’entre eux s’est articulé autour de la prétendue décapitation de quarante nourrissons israéliens par le Hamas ; cette affirmation, initialement communiquée par la primature israélienne [8], s’est répandue comme une traînée de poudre et a atteint, trois jours après sa diffusion, plus de 44 millions d’utilisateurs du réseau social X (ex Twitter) [9]. Des responsables israéliens finiront par admettre ne pas avoir de preuves d’une telle exaction, affirmant « qu’il y a eu des cas de militants du Hamas qui ont procédé à des décapitations et à d’autres atrocités similaires à celles de l’Etat islamique. Cependant, nous ne pouvons pas confirmer si les victimes étaient des hommes ou des femmes, des soldats ou des civils, des adultes ou des enfants » [10].

[7] https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/10/19/dans-la-guerre-israel-hamas-telegram-comme-epicentre-de-la-desinformation_6195458_4408996.html

[8] https://www.nbcnews.com/tech/internet/unverified-allegations-beheaded-babies-israel-hamas-war-inflame-social-rcna119902

[9] https://twitter.com/marcowenjones/status/1712030575320576034 

10] https://edition.cnn.com/2023/10/12/middleeast/israel-hamas-beheading-claims-intl/index.html

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20 septembre 2023

Est-il judicieux de choisir l’État d’Israël comme partenaire privilégié dans la lutte contre l'antisémitisme ?

Faut-il combattre le feu avec le pyromane? Le gouvernement de l'État d'Israël – le plus extrémiste de toute son histoire- bafoue les droits humains et le droit international, annexe illégalement des territoires conquis par la force et y pratique le nettoyage ethnique.


Une carte blanche de Mateo Alaluf (ULB), Vincent Engel (UCL), Fenya Fischler (Een Andere Joodse Stem), Henri Goldman (Union des progressistes juifs de Belgique), Heinz Hurvitz (ULB) et Simone Süsskind (ancienne présidente du Centre communautaire laïc juif)

Publié le 16-03-2023 dans La Libre 

Fidèle aux leçons de sa propre histoire, l’Union européenne s’est engagée dans la lutte contre l’antisémitisme. Mais, pour mener cette lutte, était-il judicieux de choisir l’État d’Israël comme partenaire privilégié ? Cet État bafoue depuis des décennies les droits humains et le droit international, annexe illégalement des territoires conquis par la force et y pratique le nettoyage ethnique. Il s’est à présent doté du gouvernement le plus extrémiste de toute son histoire, associant des suprémacistes juifs et des intégristes religieux, équivalents locaux d’Éric Zemmour et de Viktor Orban, la violence physique en plus.

Depuis, ça n’a pas traîné : les violences commises par des colons contre les Palestiniens ont redoublé sous le nez d’une armée qui laisse faire. Un tel comportement, qui relève d’un racisme anti-arabe assumé, aurait dû suffire à discréditer les autorités israéliennes aux yeux de l’UE. Malgré cela, le partenariat privilégié entre l’Europe et l’État d’Israël dans la lutte contre l’antisémitisme a été confirmé, comme si de rien n’était.

Délégitimer la critique des politiques israéliennes

Pour restaurer une image qui se dégrade chaque jour, les autorités israéliennes et les grandes organisations juives ont pris la lutte contre l’antisémitisme en otage. Elles disposent pour cela d’une arme redoutable : la définition de l’antisémitisme proposée en 2016 par l’IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance), une organisation intergouvernementale fondée en 1998, qu’un puissant lobbying a fait adopter par toutes les institutions possibles. Une définition extrêmement banale et parfaitement inutile au regard de l’arsenal juridique existant dans de nombreux États dont la Belgique, mais dont la perversité réside dans les exemples qui lui sont annexés en guise d’illustrations : 7 sur 11 désignent la critique de l’État d’Israël comme autant de manifestations d’antisémitisme.


Dès son adoption par l’IHRA, cette définition a été contestée. Elle a été récusée par les centaines de signataires de la “Jerusalem Declaration on Antisemitism”, juifs ou israéliens pour la plupart, dont de nombreux spécialistes reconnus de l’histoire de la Shoah et de l’antisémitisme. Kenneth Stern, le principal auteur de cette définition, a publiquement dénoncé la manière dont celle-ci était instrumentalisée pour délégitimer la critique des politiques israéliennes. De nombreux experts ont mis en garde contre le danger de saper, par une telle instrumentalisation, la lutte nécessaire contre l’antisémitisme.


Amnesty International, B’Tselem et Human Rights Watch désavoués


Ce danger se confirme. En 2022, Amnesty International publiait un rapport établissant qu’Israël pratique une politique d’apartheid sur tout le territoire que cet État contrôle, de la Méditerranée au Jourdain. L’association internationale de référence des droits humains rejoignait le diagnostic de B’Tselem, l’association historique israélienne de défense des droits de l’Homme et radicalisait la dénonciation déjà formulée en 2021 par Human Rights Watch. Depuis lors, une violente campagne orchestrée depuis Tel Aviv cherche à miner sa crédibilité. Pour forcer la main à la Commission européenne, quelques parlementaires habitués à relayer les demandes israéliennes, dont la vice-présidente libérale allemande du Parlement européen Nicola Beer et la libérale belge Frédérique Ries, interpellèrent Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, sur le rapport d’Amnesty qui tombait à leur avis sous le coup des exemples de la définition IHRA. Le 20 janvier 2023, Josep Borrell leur donna raison : “Il n’est pas approprié d’utiliser le terme apartheid à propos de l’État d’Israël. […] L’affirmation selon laquelle l’existence d’un État d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste figure parmi les exemples donnés par la définition de l’IHRA”.

Défilé bleu-blanc à Jérusalem contre la réforme de la justice
Une mauvaise action sous l’égide de la Fédération Wallonie-Bruxelles ?


Israël pratique-t-il l’apartheid – une forme particulière de racisme – à l’égard du peuple palestinien ? Même si on ne la partage pas, il s’agit d’une opinion respectable qui doit pouvoir être discutée et contredite, mais sûrement pas criminalisée. Le résultat de cet insidieux lobbying autour de la définition de l’IHRA aboutit à dévier la lutte contre l’antisémitisme de son objet tout en mettant les pratiques coloniales de l’État d’Israël à l’abri de la critique. En faisant aujourd’hui de cet État un partenaire privilégié, l’Europe ne lutte pas contre l’antisémitisme, elle le renforce.


Cette mauvaise action se poursuivra encore en toute innocence ce mardi 21 mars, sous l’égide de la Fédération Wallonie-Bruxelles, à l’occasion d’une demi-journée d’étude organisée à Bruxelles où sera vantée devant un public scolaire “l’apport de l’IHRA […] et sa définition de l’antisémitisme”.


Pas de méprise


Qu’on ne se méprenne pas. Notre propos n’est absolument pas d’écarter l’État d’Israël de toute forme d’implication dans la lutte contre l’antisémitisme en Europe. Nos familles ont payé un lourd tribut à la folie meurtrière des nazis et on ne peut oublier qu’en 1945, des milliers de rescapés des camps de la mort ont trouvé refuge sur cette terre quand aucun autre pays ne voulait les accueillir. Mais il ne viendrait pas non plus à l’idée de confier à Vladimir Poutine le premier rôle dans une commémoration de la victoire sur le nazisme sous prétexte qu’il serait l’héritier des héros de Stalingrad, et de s’aligner sur ses conditions.

15 septembre 2023

Un ex-chef du Mossad accuse Israël d’organiser un “apartheid” à l’égard des Palestiniens

Le 07-09-2023


C'est pour Tamir Pardo le plus grand danger qui guette l'Etat hébreu.


Ce n’est pas le premier – et ce ne sera pas le dernier– haut fonctionnaire israélien à la retraite à porter de lourdes accusations contre son pays. Tamir Pardo, qui a dirigé le Mossad, le fameux service d’espionnage de l’État hébreu, estime que le traitement qu’Israël impose aux Palestiniens dans le territoire occupé de Cisjordanie ressortit à un système d’apartheid. Il rejoint ainsi une liste croissante d’anciens hauts responsables de l’État et d’organisations de défense des droits de l’homme qui, pour évoquer la politique d’Israël vis-à-vis de la population palestinienne, se réfèrent au système de ségrégation institutionnalisé dit apartheid (mot afrikaans signifiant “vivre séparément”), que l’Afrique du Sud avait appliqué à l’égard de la population noire de 1948 à 1994.


”Il y a un État d’apartheid ici”, a déclaré Tamir Pardo dans une interview accordée à l’agence américaine Associated Press. “Un territoire où deux personnes sont jugées selon deux systèmes juridiques, c’est un État d’apartheid”, y explique l’ancien chef du Mossad (entre 2011 et 2016). Nommé par Benjamin Netanyahou, il était ensuite devenu une voix critique du Premier ministre. Tamir Pardo continue à l’affirmer : le plus grand danger auquel Israël est confronté n’est pas, comme le prétend depuis des années le gouvernement Netanyahou, la menace du programme nucléaire iranien mais bien le conflit avec les Palestiniens...


C’est d’ailleurs la détérioration de la situation dans les Territoires palestiniens, le langage décomplexé et les velléités d’annexion portés par les partis extrémistes de la coalition au pouvoir qui ont poussé l’ancien responsable à prendre la parole.


L’ONG internationale Human Rights Watch et une homologue israélienne B’Tselem, bientôt rejointes par Amnesty International(Amnesty enfonce le clou des accusations d’apartheid contre Israël : cette politique a été créée afin de maintenir l’hégémonie juive, selon l’ONG), avaient les premières livré un rapport où elles concluaient que la colonisation et l’occupation menées par Israël dans les Territoires palestiniens relevaient du crime d’apartheid, soit “un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur d’autres dans l’intention de maintenir ce régime”. Depuis, d’anciens responsables israéliens ont alerté l’opinion sur le risque qu’Israël encourt de devenir un État d’apartheid.

 Vincent Braun, La Libre, 7 septembre 2023


Bilan de la guerre entre le Hamas et l’Etat d’Israël, six mois après (2/2)

Par Emile Bouvier
Publié le 18/04/2024 • modifié le 18/04/2024  • Durée de lecture : 7 minutes Voir l'article original, dans Les clés de...