Par Hervé Amiot
les clés du Moyen-Orient
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Publié le 12/12/2013 • modifié le 11/03/2018
Si le bassin du Jourdain ne rivalise pas en taille avec celui du Tigre-Euphrate et du Nil, il est néanmoins le théâtre de conflits peut-être plus nombreux et plus violents. En effet, prenant sa source au Liban, le Jourdain sépare Israël des Etats arabes voisins, Syrie et Jordanie.
EXTRAITS
III – L’eau dans la gestion des territoires palestiniens
Les représentations autour de l’eau
Pour comprendre pleinement les enjeux conflictuels autour de l’eau, il s’agit de cerner les dimensions symboliques et idéologiques, les représentations à l’œuvre. Dans les processus de construction nationale israélien et palestinien, eau et terre se conjuguent pour tisser la trame des conflits.
Les grands mythes fondateurs des Juifs et des Arabes parlent de l’eau. Le Coran fait référence à l’élément liquide comme stade initial de la création du monde. Dans la Bible, la puissance symbolique attachée à l’eau se retrouve investie dans les fleuves, et particulièrement le Jourdain, perçu comme l’un des épicentres de la manifestation divine.
La force de ces significations symboliques continue de se manifester dans les pratiques socioculturelles. Elles déterminent les fonctions et la valeur attribuées à l’eau. Par exemple, selon Lasserre et Descroix, les Palestiniens se figurent traditionnellement l’eau comme un don du ciel, une ressource illimitée, et sont donc plus enclins au gaspillage. La construction de la nation israélienne est très liée à l’idéal des premiers sionistes, très attachés à la terre, et donc à l’eau. Le kibboutz est un des mythes fondateurs d’Israël : cette exploitation agricole collective marque le lien des pionniers à leur Terre Sainte, à la fois l’exploitation et la défense du sol contre les ennemis. Ainsi, l’eau occupe une place spéciale dans l’imaginaire des Juifs, en lien avec le mythe de cette agriculture pionnière.
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Rendre le Golan à la Syrie et reconnaitre la souveraineté de l’Autorité palestinienne sur la Cisjordanie semble impossible pour Israël, au vu de la dépendance accrue de l’Etat hébreu envers les ressources hydriques de ces Territoires occupés. L’exploitation de ces ressources continuera donc, malgré l’article 55 du Règlement de la IVème Convention de la Haye, stipulant qu’une puissance occupante ne devient pas propriétaire des ressources en eau et ne peut les exploiter pour le besoin de ses civils.
La situation des Palestiniens
L’accord d’Oslo II (1995) stipulait qu’ « Israël reconnaît les droits sur l’eau des Palestiniens ». Or, plus de quinze ans après, cette reconnaissance n’a pas été mise en œuvre. Lassere et Descroix (2010) montrent au contraire que les Palestiniens sont discriminés par rapport aux Israéliens, sur les questions de l’eau.
Les Palestiniens sont facturés au prix de l’eau potable pour leur eau agricole ; les colons Juifs bénéficient de tarifs agricoles et de subventions. La justification étant que les colons juifs ont investi dans de couteuses techniques d’irrigation.
Les Palestiniens doivent obtenir une autorisation spéciale pour creuser tout nouveau puits. Selon l’organisation B’Tselem (Observatoire des Droits de l’Homme dans les Territoires occupés), 17 demandes sur 79 auraient été approuvées, et encore moins auraient été effectivement réalisées. Au final, alors que la population palestinienne a presque triplé de 1975 à 2007, la demande en eau n’a augmenté que de 10%.
La consommation d’eau est fixée selon des quotas qui affectent les Palestiniens : les 7 millions d’Israéliens ont une consommation par personne quatre fois supérieure aux 4,2 millions de Palestiniens. Les frustrations occasionnées par cette situation peuvent engendrer de la violence à l’encontre des soldats ou des colons israéliens.
Les terres dont l’autonomie palestinienne, totale ou partielle, est reconnue par Israël au titre des accords d’Oslo, sont situées sur les hauteurs calcaires où l’accès à l’eau est difficile, puisqu’il est nécessaire de creuser profond pour atteindre la nappe.
L’Autorité palestinienne revendique un accès à l’eau plus important. Elle a longtemps souligné que l’agriculture palestinienne jouait une grande part dans l’économie des Territoires occupés (15% du PIB, 14% de la population active en 2000). En comparaison, l’agriculture israélienne, certes beaucoup plus productive, emploie 2,5% de la population active et produit 3% du PIB. Or, en Israël et dans les colonies, 47% des terres sont irriguées, contre 6% seulement des terres palestiniennes. L’Autorité palestinienne demande actuellement des droits sur 80% de l’aquifère des montagnes, ce qu’Israël ne peut pas concevoir. Ainsi, les négociations de paix restent bloquées en partie à cause du facteur hydrique.
Hervé Amiot
Hervé Amiot est Docteur en géographie, agrégé et ancien
élève de l’Ecole Normale Supérieure (Ulm). Après s’être intéressé aux
dynamiques politiques du Moyen-Orient au cours de sa formation initiale,
il s’est ensuite spécialisé sur l’espace postsoviétique, et en
particulier l’Ukraine, sujet de ses recherches doctorales
Bibliographie :
– AYEB Habib, L’eau au Proche Orient. La guerre n’aura pas lieu, Khartala-Cedej, 1998, 232 p.
– BENDELAC Jacques, « Israël : l’eau à la croisée des chemins », Confluences Méditerranée, n°58, 2006.
– BLANC Pierre, « L’eau : un bien précieux, des enjeux multiples », Confluences Méditerranée, n°58, 2006.
– LASSERRE Frédéric, DESCROIX Luc, Eaux et territoires. Tensions, coopérations et géopolitique de l’eau, Presses de l’université du Québec, 2011, 492 p.
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