David MEYER
Le juif de la diaspora est bien seul. Et il s’interroge : le soutien à la politique d’Israël reste-t-il possible dans le cadre d’une réflexion religieuse juive honnête ?
Une opinion de David MEYER, Rabbin, écrivain, enseignant.
(Extraits d'un article paru ce W.E. dans le journal de La Libre Belgique)
Ce 10 février auront lieu les élections à la Knesset, le Parlement israélien. Dans une ambiance difficile, faisant suite au conflit contre le Hamas à Gaza, ces nièmes élections risquent d’amener au pouvoir un Likoud triomphant, partenaire politique de l’extrême droite israélienne du député Avigdor Liberman. Un vote qui pourrait bien mettre un terme aux faibles espoirs de paix entretenus depuis plusieurs années par le parti Kadima et les travaillistes. Il ne s’agirait pas, cette fois-ci, d’une victoire comme une autre. Le Likoud d’aujourd’hui, de par ses amitiés plus que douteuses, est " un parti extrémiste qui risque d’acculer Israël à l’isolement ", selon les paroles mêmes du premier ministre sortant, Olmert. Pour ces extrémistes proches du Likoud, il convient à présent de retirer toute représentation arabe à la Knesset, de lancer une politique de " transfert " et d’expulsions forcées de ces mêmes populations, de couper l’eau et l’électricité aux Palestiniens afin d’en terminer une fois pour toutes avec le problème ! La ligne du parti, qui se confond progressivement avec la politique de l’Etat, devient celle de la ségrégation, des punitions collectives, de la violence, du refus de l’existence de l’autre et du rejet pur et simple du principe du partage, du compromis et de la paix. A notre désespoir le plus total il faut bien convenir que l’heure du fanatisme juif pourrait bien avoir sonné. Espérons que les résultats réels des élections démentent ce triste pronostic !
Face à ce constat, que ressentir, que faire ? Ayant soutenu l’action israélienne à Gaza, sans remords mais avec une douleur réelle pour chaque victime civile, nous sentant totalement rejetés par une certaine Europe qui ne comprend pas qu’Israël a le droit d’exister même au prix d’injustices douloureuses, et qui se laisse aller à des regains d’antisémitisme suspects, c’est à présent à un sentiment d’écœurement que nous faisons face lorsque nous regardons du côté de Sion. Haine du Juif à l’Ouest, fanatisme juif à l’Est, le Juif de la diaspora est aujourd’hui bien seul ! La question, inimaginable il y a seulement une dizaine d’années, devient à présent incontournable : le soutien à la politique d’Israël reste-t-il possible dans le cadre d’une réflexion religieuse juive honnête ?
Certes, ce n’est pas la première fois que certains abus et dérives de la politique israélienne nous interpellent. Mais par le passé, nous voulions croire que ces incidents étaient le résultat d’une situation de guerre complexe, d’un ennemi - le Hamas - particulièrement vil et sans scrupule, de peurs, d’erreurs. Bref, des dérapages que nous pouvions tolérer car, justement, ce n’étaient que des dérapages ! Ce n’est peut-être plus le cas aujourd’hui. La réalité de 2009 est malheureusement celle d’une idéologie bien structurée, mélange de nationalisme et de pseudoreligion, portant en elle la haine et le rejet, en d’autres termes, le fanatisme. Ose-t-on imaginer un soutien juif à cet extrémisme-là ? C’est donc face à la limite morale de notre soutien au gouvernement d’Israël que nous risquons d’être confrontés suite à ces élections.
(...)
Les histoires bibliques ne se limitent pas à la révolte. Abraham et Job ne se contentent pas de critiquer et de condamner; ils luttent et proposent "autre chose". Ils finissent même, au prix de longs efforts, par faire triompher la justice et la décence. Avec eux, c’est l’image d’un Dieu juste et patient qui triomphe sur la réalité d’un Dieu vengeur et erratique. Alors, pour nous aussi, il convient de lutter et de proposer "autre chose". Refuser la réalité d’un Israël tenté par l’extrémisme c’est également essayer de faire triompher l’image d’un autre Israël, s’accrocher à l’espoir de l’existence nécessaire d’un Etat juif capable de sagesse, et motivé par le désir profond et parfois douloureux de la paix. Que faut-il faire pour cela ? Par le passé, d’autres individus, en d’autres lieux, ont dû faire face à la folie passagère de leurs propres Etats et de leurs propres peuples. Ils étaient minoritaires et considérés par beaucoup comme traîtres. Sans renier leur appartenance, ils se sont souvent exilés pour constituer, en exil, un autre gouvernement, "virtuel" dirons-nous aujourd’hui. Un "virtuel" pourtant garant bien réel des idéaux fondateurs de leurs propres nations. En ce qui concerne Israël, une démarche similaire a déjà eu lieu en l’an 2000. A l’initiative de la société civile israélienne et en partenariat avec des représentants palestiniens, des accords pour la paix et le partage sont signés à Genève. Ce petit groupe, se substituant de façon très symbolique au gouvernement officiel de l’Etat d’Israël, agit donc comme une administration "bis", montrant à la face du monde que l’intransigeance officielle, dans les deux camps, n’était pas nécessairement la seule vérité qui vaille. Faut-il aujourd’hui aller plus loin ? Faut-il, si effectivement Israël se dote d’un pouvoir tenté par l’extrémisme, poursuivre la démarche d’un gouvernement "virtuel", soutenir la société civile israélienne et non plus le gouvernement ? Comme l’écrivait très justement l’écrivain israélien Amos Oz : " Dans un sens, ne pas être fanatique revient peu ou prou à être taxé de traître par le fanatique ." Faisant face avec courage aux accusations de traîtrise qui ne risqueront pas de manquer, notre opposition à la dérive jusqu’au-boutiste de certains éveillera peut-être le sursaut éthique nécessaire à la survie d’un état d’Israël porteur de sens et juif dans son âme.
(...)
C’est bien le devoir de réserve et de soutien qui disparaît devant la nécessité éthique du moment. Aujourd’hui, la vision tragique qui se profile nous fait prendre conscience d’une réalité semblable. Le mythe de l’unité et du soutien inconditionnel au gouvernement d’Israël risque de disparaître si une coalition d’extrême droite s’empare effectivement du pouvoir. Face aux dérives de ce fanatisme, nous ne pouvons plus être tous amis. Le soutien à Israël demeure inébranlable pour chaque Juif, plus fort que jadis, mais peut-il encore passer par un soutien à son gouvernement ?
Mis en ligne le 07/02/2009 sur le site de La Libre Belgique
Note. Si je publie ce texte qui s'adresse aux juifs de Belgique, c'est que le soutien indéfectible aux agressions de Gaza m'a mis fort mal à l'aise et risquait d'entamer mon estime pour mes amis juifs. J'espère toujours une réelle prise de conscience de ce qui se passe vraiment au Moyen-Orient, étant toujours fidèle à ma conviction que seuls les intéressés eux-mêmes (Israéliens et Palestiniens) pourront réussir une vraie paix là-bas, un jour, et si possible pas dans trois siècles.
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