Alors que les autorités israéliennes s'évertuent à faire passer la destruction d'infrastructures civiles pour des dégâts collatéraux, les preuves d'un ciblage systématique des infrastructures sanitaires se multiplient.
« La destruction du système de santé a été l'axe principal de la stratégie militaire [israélienne]». Le Dr Ghassan Abu Sitta témoigne après avoir travaillé six semaines dans plusieurs hôpitaux de Gaza pendant la guerre en cours contre les Palestiniens.
Ce sentiment fait écho aux conclusions des juristes sud-africains qui accusent Israël de génocide devant la Cour internationale de justice : «Avant presque tout, l'assaut d'Israël sur Gaza a été une attaque contre son système de santé.»
NOTE : INTRODUCTION PERSONNELLE
Génocide ou pas génocide est le grand débat du moment, et ce sera aux juristes internationaux de clarifier la question. Il vaut mieux, pour le moment, parler de ”risque de génocide”. Je cite Marianne Blume, qui fait référence à Volker Turk, Haut commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme, qui parle des ”prémices d’un génocide”-
”Que la politique israélienne en Cisjordanie soumette le groupe «Palestiniens» à des atteintes graves à l'intégrité physique et/ou mentale est évident. Que cela se traduise par les attaques meurtrières destructrices de l'armée dans les camps de réfugiés ou dans les villes et villages ou par celles de l'armée et des colons contre les communautés rurales et les villages, ou encore par les attaques des milices d’autodéfense; que ce soit par l'emprisonnement massif des citoyens ou par le nettoyage ethnique; que ce soit par l'interdiction de cultiver et de récolter ou par les obstacles mis à la circulation des biens et des personnes; que ce soit par les destructions de maisons ou par celles de symboles nationaux et du patrimoine culturel palestinien (lire article page 24); que ce soit l'apartheid, tout simplement, qu’Israël assassine des membres du groupe parce qu'ils sont membres du groupe ne fait aucun doute non plus, comme en témoignent notamment les rapports du Haut-Commissaire aux droits de l'Homme.
Par contre," la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle n'est pas établie dans la mesure où la définition de génocide n'intègre ni la destruction culturelle ni l'intention de disperser un groupe. Néanmoins, les déclarations des ministres en charge de la Cisjordanie sont clairement porteuses d'un risque de génocide: les allusions répétées à une nouvelle Nakba, les incitations à soumettre la Cisjordanie au même sort que celui de Gaza, les déclarations exhortant à détruire une ville ou à tuer les «terroristes» (Pour Smotrich, il y a 2 millions de nazis en Judée-Samarie) doivent alerter. D'autant qu'elles font écho dans la société israélienne.
"Le génocide est l'aboutissement d'un processus. Dès lors, sa prévention passe par une observation scrupuleuse des situations". Le mot de la fin revient à Volker Türk: «L'impunité favorise le génocide. L'obligation de rendre des comptes est son ennemi iuré.»
(Marianne Blume, dans Palestine, n° 100 d’avril, mai, juin 2024, p. 9 )
(Volker Turk, Haut commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme, parle des ”prémices d’un génocide” : "le génocide est toujours l'aboutissement de schémas antérieurs et identifiables de discrimination systématique -fondée sur la race, l'appartenance ethnique, la religion ou d'autres caractéristiques- et de violations flagrantes des droits de l'Homme, visant de manière systématique un peuple, une minorité ou une communauté.")
Par contre, ce qui ne fait pas de doute, c’est le projet de ”rendre Gaza inhabitable”, et certains extrémistes au pouvoir actuellement en Israël parlent ouvertement de leur projet de rendre inhabitable non seulement Gaza mais toute la Cisjordanie. S’il n’y a certes pas génocide, il y a le projet de pousser les palestiniens à partir : on pourrait appeler cela un ”nettoyage ethnique”.On peut ajouter les informations toutes récentes qui font état de l’utilisation de la faim comme arme de guerre.
EXTRAITS d'un article paru dans La Livre et sur la RTBF la famine comme arme de guerre" (https://www.rtbf.be/article/guerre-israel-gaza-la-famine-comme-arme-de-guerre-11304400)
"Ce ne sont pas les conditions de la guerre qui ont précipité la population vers la famine, c’est la volonté délibérée du gouvernement d’Israël de couper les vivres à cette population."
Les Palestiniens de Gaza ne meurent pas seulement sous les bombes, mais aussi désormais des conséquences de la faim. Les rapports se multiplient sur la famine qui se profile dans l’enclave palestinienne. Il s’agirait d’une stratégie délibérée de la part des autorités israéliennes, dans leur guerre contre le mouvement islamiste Hamas. C’est ce qu’affirme l’ONG Human Rights Watch (HRW).
L’organisation souligne que des responsables israéliens ont publiquement annoncé leur intention de priver les civils de Gaza de nourriture, d’eau et de carburant. Ces déclarations se reflètent sur le terrain, dans les opérations militaires israéliennes.
Le ministre israélien de la Défense Yohav Galant : "‘Nous allons établir un siège complet sur Gaza. Il n’y aura — et il l’a énuméré sur ses doigts — plus d’électricité, plus de nourriture, plus d’eau, plus de fuel, plus rien. C’est terminé."
Selon le Programme alimentaire mondial, la moitié de la population souffre de faim extrême ou sévère.
Dans les hôpitaux visités par des responsables de l’Organisation mondiale de la santé, les patients décèdent non seulement faute de soins médicaux, mais aussi de faim et de soif.
"Il est absolument illégal d’assoiffer et d’affamer une population pour obtenir un objectif militaire, quel qu’il soit", souligne le porte-parole de HRW. "Il est tout aussi illégal d’avoir des otages. Ça aussi, c’est un crime de guerre et nous demandons que le Hamas les relâche tous immédiatement et sans condition. Mais conditionner à cette libération la fourniture de nourriture, d’eau d’électricité à 2 millions de personnes, c’est avouer qu’on les punit collectivement. (...)"
Aide entravée
Ahmed Benchemsi, porte-parole de HRW pour la Moyen-Orient, estime qu’Israël entrave l’entrée de l’aide humanitaire par le point de passage de Rafah, entre l’Egypte et la bande de Gaza. (...)
De plus, des terres cultivables de la bande de Gaza sont rendues inutilisables par les opérations militaires. "Il y a des terres agricoles qui ont été complètement rasées pour laisser le passage à des engins militaires israéliens", explique Ahmed Benchemsi. "Un responsable israélien a été filmé sur ces terres-là, en déclarant que c’était la politique de la terre brûlée, que les Palestiniens qui reviendraient ne trouveraient plus rien, qu’il n’y aurait plus rien pour eux. Ce ne sont pas juste des déclarations, puisqu’on a pu aussi le confirmer par l’examen de photos satellites avant-après. Elles montrent que, là où il y avait des terres agricoles, aujourd’hui, il n’y a plus que désolation."
"Cela relève aussi du crime de guerre et de la juridiction de la Cour pénale internationale."
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Ceci dit, j'en reviens à ce qui se passe à propos de
LA DESTRUCTION DU SYSTÈME DE SANTÉ
(PALESTINE n° 100, p.26 - 29)
«Avant presque tout, l'assaut d'Israël sur Gaza a été une attaque contre son système de santé.»
Le discours et les actes des forces israéliennes confirment ces conclusions. Au 9 février, plus aucun des hôpitaux de la bande n'était pleinement opérationnel; seuls 13 sur 36 travaillaient en capacité partielle. Seules 17% des cliniques de soins primaires étaient fonctionnelles. Les structures de santé encore debout sont débordées. Des vies sont perdues de par les conditions destructrices imposées par la guerre - famine, infections dues à l'entassement, conditions insalubres dues à la destruction des infrastructures de base et complications résultant de l'interruption de traitements délicats et vitaux.
L'INTENTION
L'intention de saper le système de santé de la bande de Gaza était évidente dès le début de la guerre. Dès le 14 octobre, l'armée a ordonné l'évacuation de 22 hôpitaux dans le nord de la bande. Ce jour-là, une frappe aérienne sur le centre de diagnostic du cancer de l'hôpital al-Ahli a blessé quatre membres du personnel, en avertissement de ce qui allait suivre. Dans les jours suivants, les responsables des hôpitaux du nord de la bande de Gaza, comme al-Shifa, al-Ahli et al-Awda, ont reçu des appels téléphoniques de militaires israéliens leur ordonnant l'évacuation sous peine de bombardement. Le personnel hospitalier a répondu que les hôpitaux, prestataires de services essentiels, n'évacueraient pas.
Le 27 octobre, le porte-parole de l'armée a déclaré: «La vérité est désormais claire: le Hamas fait la guerre depuis les hôpitaux, répand la terreur depuis les hôpitaux.» Dans les semaines qui ont suivi, les forces israéliennes ont systématiquement démantelé les infrastructures de santé dans le nord de la bande, bombardant des hôpitaux, coupant leurs approvisionnements, obligeant les patients et le personnel à évacuer sous la menace et tirant sur des personnes qui travaillaient, cherchaient un abri ou étaient soignées dans ces hôpitaux.
La motivation derrière la destruction du secteur de la santé a été communiquée d'emblée par les Israéliens: rendre la bande inhabitable. Le 9 octobre, le ministre israélien de la «défense» a annoncé « un siège complet. Pas d'électricité, pas de nourriture, pas d'eau, pas de combustible. Nous combattons des animaux et nous agissons en conséquence.» Le 12 octobre, c'était au tour du président israélien Herzog de déclarer: «C'est toute une nation qui est responsable. Tous ces beaux discours sur les civils qui ne savaient rien et qui n'étaient pas impliqués, c'est totalement faux.»
PLUS AUCUN ENDROIT SÛR
Israël a clairement indiqué que son objectif était de créer les conditions qui empêcheraient toute forme de survie. La destruction des infrastructures civiles et des conditions de base de l'existence est donc calculée, délibérée et stratégique -et pas du tout aveugle. D'où le ciblage d'infrastructures essentielles, dont les conduites d'oxygène des hôpitaux et les panneaux solaires. Le spectacle des destructions envoie le message qu'aucun endroit n'est sûr, pas même les infrastructures sanitaires qui bénéficient pourtant de protections spéciales en droit international. Ce message s'adresse tant aux habitants de Gaza qu'aux organisations internationales, comme le CICR, l'UNRWA et MSF, dont les installations et les équipes ont été également ciblées.
Le ciblage des prestataires de santé se reproduit dans différents contextes sous contrôle israélien, démontrant ainsi sa nature systématique. Selon les prisonniers gazaouis libérés, l'armée soumet le personnel soignant en détention à des traitements dégradants et déshumanisants.
Israël cible aussi la santé en Cisjordanie. Entre le 7 octobre et février, Israël a tué dix personnes et blessé 62 autres lors de 364 attaques contre le système de santé en Cisjordanie. Il est courant que l'armée coupe les routes menant aux hôpitaux lors de raids à Jénine et Tulkarem et elle empêche souvent les ambulances d'atteindre les blessés, voire les vise. Ces attaques ont parfois dégénéré en raids dans les hôpitaux, témoin l'assassinat de trois Palestiniens à l'hôpital Ibn Sina de Jénine.
LES RETOMBÉES DE LA DESTRUCTION DU SYSTÈME DE SANTÉ
Les retombées directes et indirectes de ces destructions sont dévastatrices. Les retombées directes comprennent les pertes de vies humaines et les destructions causées aux infrastructures de santé. L'OMS a rapporté que 627 personnes ont été tuées et 783 blessées lors de 342 attaques contre des centres de santé à Gaza.
Ces attaques ont aussi endommagé 27 hôpitaux et 47 ambulances. Au 23 janvier, Israël avait tué 403 agents de santé, en avait enlevé 215 et blessé des centaines d'autres. De nombreuses victimes étaient des ambulanciers en service;
un médecin a été touché par un tireur isolé alors qu'il travaillait en salle d’opération.
”LORSQUE DES AGENTS DE SANTÉ SONT TUÉS, DES DÉCENNIES D'EXPÉRIENCE ET D'EXPERTISE
SONT PERDUES ET IL FAUDRA UNE GÉNÉRATION POUR LES RECONSTITUER.”
L'effet indirect est la pression exercée sur le secteur de la santé par la fermeture de la majorité des services et l'augmentation de la demande en soins. Les dizaines de milliers de blessés causés par les bombardements dépassent largement la capacité d'accueil du système de santé, d'autant plus que de nombreux blessés arrivent simultanément, submergeant les installations et ne permettant pas au personnel de les soigner rapidement. Parmi les 70000 Palestiniens blessés figurent au moins 1000 enfants amputés d'un membre. Ces personnes nécessitent des traitements complexes comprenant tant des soins chirurgicaux que des soins de réadaptation physique et psychologique.
La diminution de la capacité d'accueil du secteur s'accompagne d'une augmentation des maladies dues aux conditions de vie imposées à la population par Israël. L'armée a détruit la majorité des boulangeries, des bateaux de pêche et un quart des terres agricoles, plongeant les habitants dans la faim. L'eau potable est limitée car Israël a coupé deux des trois principaux aqueducs, bombardé des puits et des usines de dessalement, et restreint les livraisons d'aide par camions. Les bombardements ont interrompu le traitement des eaux usées et la gestion des ordures, risquant ainsi de contaminer les sources d'eau restantes. Les bombardements constants, les ordres d'évacuation et les restrictions en matière d'aide ont confiné la majorité des 2,3 millions d'habitants de la bande dans de petites poches surpeuplées, exposées à des problèmes de santé individuels et collectifs, comme l'hépatite A, les infections respiratoires et les diarrhées. Des gens souffrent déjà de faim, de soif et de pollution, mais les conséquence de la guerre à moyen et long termes tueront sans doute davantage que la guerre elle-même. L'exposition à la violence, à la dépossession, au déplacement, à l'insécurité et à la précarité aggrave la détresse des survivants, que les services de santé mentale étaient déjà incapables de gérer en l'absence de solutions politiques pour mettre fin à la violence.
Les pénuries de combustible, d'oxygène, d'équipements et de médicaments sont aggravées car 70% de l'aide médicale autorisée à entrer est inutilisable. Une grande partie de l'aide est donc vaine. Ces restrictions empêchent de fournir des traitements appropriés aux malades et aux blessés, entrainant des complications même pour des affections simples. Dès le début de la guerre, les hôpitaux ont rationné les dialyses des insuffisants rénaux et recouru à des remèdes maison pour nettoyer les plaies. Depuis des semaines, des médecins rapportent que le triage se résume à identifier les vies pouvant être sauvées et, parfois, à choisir ceux qui survivront, à cause du volume de la demande et du manque de ressources.
Le siège imposé à la bande de Gaza depuis 17 ans comprenait des restrictions sur l'entrée des fournitures médicales, les classant comme «à double usage [civil et rnilitaire] », provoquant des retards et l'indisponibilité d'articles essentiels. En 2021, les établissements de santé ont signalé des pénuries de 45% des médicaments essentiels, 31 % des consommables médicaux et 65% des produits de laboratoire. Malgré cela, les travailleurs de la santé à Gaza et les visiteurs étrangers ont fait état d'une réelle capacité d'adaptation et de créativité au sein du secteur pour faire face à ces circonstances difficiles.
RENDRE GAZA INHABITABLE
Le siège de Gaza, qui affecte le secteur de la santé comme tous les autres aspects de l'existence, trahit l'objectif d'Israël de rendre la bande inhabitable. Dès 2017, le coordonnateur des Nations Unies pour l'aide humanitaire dans le Territoire palestinien occupé faisait remarquer: «Le seuil de "l'invivable" a déjà été dépassé».
La destruction des établissements de santé entraine celle des dossiers médicaux, empêchant la bonne gestion des maladies chroniques et la production de données épidémiologiques nécessaires à la planification des services futurs. Le remplacement des équipements détruits nécessitera des investissements importants. Lorsque des agents de santé sont tués, des décennies d'expérience et d'expertise sont perdues et il faudra une génération pour les reconstituer.
Plus largement, les retombées de la guerre sur l'environnement seront probablement graves. L'intensité des bombardements et l'utilisation d'armes chimiques affecteront le sol et donc les cultures locales, et pourraient persister dans l'air, affectant tous les êtres vivants de la bande de Gaza. Un signe révélateur en est que des dizaines de soldats israéliens auraient contracté des infections rares et graves en commettant leurs crimes de guerre. La prévalence de ces infections résulte probablement des guerres précédentes et du blocus, car les impacts environnementaux de la guerre peuvent mettre du temps à se manifester.
* Chercheur à l'Institut d'études sur la Palestine et écrivain en santé publique et sociétale. Traduit et édité par Thierry Bingen et Ouardia Derriche. Article original paru en version longue le 22 février 2024 sur palestine-studies.org